Consolation pour un pécheur
parlions à voix basse au milieu du petit jardin. Joaquim a une voix très douce. Dans la rue, on ne l’entendrait pas. Même si des moines nous guettaient, ils n’ont rien pu saisir de nos propos.
— Je ne me montrerais pas aussi sûr que vous…
Daniel eut l’air décontenancé.
— Il faut savoir être patient avec Joaquim, reprit le jeune homme. Au bout d’un long moment, il a dit : « Je ne l’ai pas. Ils m’ont tout pris quand j’étais malade, mais je ne l’avais pas. » Il m’a alors regardé droit dans les yeux. « Je sais où elle est. Je sais toujours où elle est. » Il avait un timbre de voix si suave, maître Isaac, si simple, que je l’ai presque cru.
— C’est tout ?
— Non. Puisqu’on en était là, j’ai décidé d’aller au cœur du sujet. Je lui ai demandé sans ambages s’il était vrai qu’elle était dangereuse dans la main d’un pécheur. Il m’a répondu qu’elle était sacrée et bonne, elle ne ferait de mal à personne, mais il devait la ramener dans la montagne où elle serait en sûreté. Après ça, et quelle que soit ma question, il me faisait toujours la même réponse. Je suis parti.
— C’est tout ? insista Isaac.
— C’est tout ce qui pouvait avoir de l’intérêt.
— Répétez-moi tout ce que vous avez entendu, Daniel, j’aime aussi connaître les futilités.
— Comme vous voudrez, maître Isaac. Je ferai de mon mieux, même s’il était bien souvent assez confus. Je lui ai souhaité bon voyage. Il m’a dit qu’il était presque prêt à partir, mais qu’il ne pouvait le décider tant que la lune brillait d’un tel éclat dans le ciel. Il fallait qu’il soit fou parce que c’était le matin et que le soleil dardait tous ses rayons. Je convins que ce serait difficile – que pouvais-je faire d’autre ? – et pris congé de lui parce que des moines étaient arrivés et auraient pu s’étonner.
— Ils ont été surpris, effectivement, dit Isaac, mais pas autant que moi. J’aimerais m’entretenir avec ce jeune homme.
Il se leva et arpenta la cour.
— Mais je crains qu’il ne soit déjà trop tard, ajouta-t-il.
Derrière eux, on entendit le bruit du portail qui se refermait, puis des pas légers coururent sur les dalles.
— C’est Yusuf.
— Vous aviez besoin de moi, seigneur ? demanda l’enfant. Vous aviez l’intention de vous reposer et…
— C’est ce que j’ai fait, et je n’avais pas besoin de toi.
— Je suis revenu en toute hâte quand on m’a donné un message à votre intention.
L’enfant tendit un papier plié. Isaac le palpa soigneusement. Il avait été cacheté avec de la cire, mais aucun sceau n’était identifiable.
— Quelqu’un souhaite me contacter, de manière si secrète qu’il a écrasé la cire, mais qui va lire ce message selon lui ?
— Je ne vous dérangerai pas plus longtemps, dit Daniel en se levant.
— Merci, Daniel, vos propos m’ont vivement intéressé.
— À plus tard, maître Isaac.
Et le jeune homme s’en alla.
Isaac brisa le sceau, fit courir ses doigts sur la surface du papier et le tendit à Yusuf.
— Il est couvert d’écriture.
— Peux-tu la lire ?
— Oui, fit-il lentement. J’essaye. Mais c’est dur à déchiffrer.
— Alors va chercher Raquel. À vous deux, vous devriez y arriver.
— Ce n’est pas facile, papa.
Raquel s’était ressaisie. Elle s’était baigné les yeux et le visage, mais appréciait de ne pas devoir affronter le regard inquisiteur de sa mère.
— L’encre est pâle, la plume abominable et l’écriture atroce. Heureusement, le texte n’est pas très long.
— Parviens-tu à le lire ? J’avoue être impatient de savoir ce que contient cette missive en dehors de tous ces détails techniques.
— Pardonnez-moi, papa. Cela commence ainsi : « Mon cher maître Isaac. Pardonnez cette demande pressante, mais si… si possible, venez à ma maison entre le coucher du soleil et le lever de la lune avec autant… autant de discrétion que possible. Le Graal a été retrouvé et j’ai besoin de vos conseils. Si vous deviez l’offrir à Son Excellence en signe de bonne volonté de votre part, voilà qui pourrait mettre un terme à votre différend. » C’est signé « Vicens », dit-elle en rendant le papier à son père.
— Vicens, fit Yusuf, ce n’est pas possible.
— Pourquoi dis-tu cela ? lui demanda Isaac.
— Je ne puis croire maître Vicens capable d’une aussi
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