Consolation pour un pécheur

Raquel en riant.
    — Hélas, deux hommes installés à une autre table se sont mis à l’écouter, seigneur – maître Martí s’exprimait très fort –, et ils ont dit qu’on ne pouvait rien attendre de l’évêque puisqu’il était malade, que maître Martí avait certainement entendu parler du sang dans la cour et que personne n’osait accuser maître Vicens parce qu’il était riche et puissant, même s’il était évident qu’il avait tué maître Gualter. Uniquement parce qu’il avait tué Baptista et que le couteau utilisé venait de sa maison – il en possédait une paire, d’ailleurs. Et maître Gualter avait été tué exactement de la même façon avec un couteau identique.
    — Est-ce vrai, papa ?
    — Non, répondit Isaac. Gualter a été tué par une lame très effilée, enfoncée dans le cœur, juste sous les côtes. Un coup bien net. Baptista a été surpris par-derrière et il a eu la gorge tranchée. Par une lame très aiguisée, a précisé le capitaine, qui a de l’expérience en ce domaine. De plus, le sang retrouvé dans la cour de maître Vicens était celui d’un rat. Mais le fait que ces rumeurs soient fausses ne les rend pas moins dangereuses.
    Il s’arrêta un instant pour réfléchir à ce qu’il venait d’entendre.
    — Maître Martí a-t-il écouté ces inepties ? demanda-t-il enfin.
    — Oui, seigneur. Il a d’abord demandé comment ils étaient au courant de tout ça, et les autres ont répondu que tout le monde le savait. Ensuite, il a proposé une tournée générale, mais la mère Benedicta voulait entendre tinter sa pièce avant d’apporter du vin sur la table. Il est alors parti, appelant la vengeance céleste sur maître Vicens et mère Benedicta. Je l’ai suivi le plus longtemps possible.
    — Est-il rentré chez lui ?
    — Oui, seigneur, enfin.
    — C’est ce qui explique pourquoi tu as failli rater le souper, conclut Raquel.
     
    Mercredi 11 juin
     
    — J’ai promis à maîtresse Laura de retourner la voir ce matin, dit sèchement Raquel. Je vais donc le faire.
    — Emmène Yusuf et Leah, lui conseilla Isaac. Ils investiront la cuisine tandis que tu choies les filles des riches.
    — Je n’ai pas dit que je la choyais, papa.
    — Mais tu n’en avais pas besoin, ma chérie.
     
    C’est ainsi que Raquel partit avec son entourage, bien décidée cette fois-ci à faire parler les gens d’autre chose que de la passion de maîtresse Laura pour les gants. Et les beaux gantiers.
    La fille de cuisine leur ouvrit le portail.
    — Merci, dit Raquel en lui tendant une petite pièce, mais on ne te demande certainement pas de t’occuper de la cuisine et de la cour. Maître Vicens aurait-il un si petit train de vie ?
    — Oh, ce n’est pas ça, maîtresse.
    La fille enfourna la pièce dans une poche, bien dissimulée sous son tablier.
    — La nièce de la cuisinière, celle qui est allée trouver le conseil pour parler à tout le monde du sang dans la cour, eh bien, elle a été renvoyée. La maîtresse était furieuse après elle. Le portier a repris une grande partie de son travail à elle, en plus du sien, et je fais tout le reste en plus d’ouvrir le portail parce que lui n’a plus le temps pour ça. Quant à la servante de la maîtresse, elle a déjà bien assez à s’occuper d’elle.
    — Je comprends. Bon, je vais monter et taper à la…
    — Oh, maîtresse, vous ne voulez sûrement pas entrer. Ce jeune homme – maître Martí –, il est en train de faire une scène, il crie après le maître. Mais peut-être que maîtresse Laura sera heureuse de remonter dans sa chambre et s’éloigner de lui. Après ce que vous avez dit, maîtresse, je dois apprendre à lui frotter le dos, et je recevrai un sou de plus par mois, c’est ce qu’elle a dit. Mais la maîtresse n’est pas au courant pour le sou de plus, ajouta-t-elle, paniquée.
    — Je n’en dirai rien, l’assura Raquel.
    Tandis que la fille de cuisine racontait de son mieux l’histoire de la famille, elles traversèrent la cour. Le bruit en provenance de la maison était de plus en plus fort. Cette voix était sans le moindre doute possible celle de Martí Gutiérrez. Raquel s’approchait de la porte quand celle-ci s’ouvrit brutalement sur la silhouette du jeune homme.
    — Et quand j’en aurai fini avec vous, maître Vicens, j’utiliserai le même couteau pour trancher la gorge de votre élégante épouse et de votre jolie fille ! hurlait-il. Vous saurez