Consolation pour un pécheur
avait trop de monde.
— Que voulez-vous dire ?
— On m’a volé mes bottes. On me les a arrachées des pieds pendant que je dormais.
— Comment saviez-vous où aller ? Il aurait pu se rendre n’importe où, pas seulement à Gérone.
— Chez moi, expliqua Joaquim, il me parlait tout le temps. Il était le seul à le faire, en dehors du père Xavier et aussi du boulanger. Il est arrivé un jour avec des choses à vendre et il a logé longuement chez ma mère. Nous étions amis…
Sa voix trahissait sa tristesse d’avoir été ainsi trompé.
— Amis ? répéta Raquel.
— Oui. C’était un homme intelligent. Je ne comprenais pas tout ce qu’il me disait, mais il me parlait quand même. Il me répétait que l’objet ne devrait pas rester là dans cette armoire, d’autant plus que personne ne savait où il se trouvait hormis le sacristain, le père Xavier et moi-même. Il voulait l’emporter à Gérone, où il y avait une splendide cathédrale, et l’y faire exposer. Puis j’ai compris qu’il voulait le vendre. Dès qu’il l’aurait, il se rendrait à Gérone.
— Et vous saviez où était Gérone ?
— Oui, à l’est. Il me l’avait dit. Je suis donc parti vers l’est. Quand je marchais sur la route, je demandais mon chemin aux gens de rencontre. Tout le monde connaissait.
— Alliez-vous le vendre ? demanda Isaac.
— Non, maître, répondit Joaquim avec obstination, comme s’il avait déjà eu cent fois cette conversation. Ce n’est pas bien de le vendre. Je voulais qu’il soit dans cette belle cathédrale, pas dans son armoire, mais il n’est pas heureux d’être ici.
— Comment le savez-vous ?
— Je le sais, voilà tout, de même que je sais aussi où il est, pas loin d’ici.
— Où donc ? fit Raquel, lasse de cette conversation, de toute conversation, en fait.
Elle avait froid, elle était fatiguée et se sentait mal ; c’était la nuit et il lui fallait bavarder avec un dément.
— Tout près, reprit Joaquim. C’est pour ça que je suis là. Il l’avait tout le temps par-devers lui et je ne savais pas comment j’allais le lui prendre.
— Il était dans sa maison ?
— Non, maîtresse. Celui à qui je l’ai donné, il n’est pas arrivé longtemps après moi. Mais je savais qu’il viendrait, il fallait seulement que je l’attende.
— Baptista ? s’enquit Isaac.
— Oui, maître. Vous le connaissiez aussi ? Vous l’attendiez ?
— Non, mais je le connaissais un peu.
Leur conversation chuchotée cessa brutalement et le silence se fit plus pesant encore. Il n’y avait personne sur le flanc de la colline.
— Où est la garde ? demanda Isaac.
— Qui donc, papa ?
— Il n’y a aucune garde ici, maître Isaac, dit Joaquim.
— Quatre hommes étaient en faction près de la maison de maître Vicens. Quand nous avons rencontré ce guide, ils devaient nous suivre à distance respectable. Vous ne les avez pas vus ?
— Non, répondit Joaquim. S’ils avaient été là, je pense que nous les aurions entendus.
Il n’y avait rien de plus à ajouter. Le silence les enveloppait, rompu de temps à autre par le bourdonnement d’un insecte et les bruits infimes, menaçants, venus de la forêt.
Joaquim s’était allongé sur la pente herbeuse et regardait le ciel, parfaitement oublieux des sons environnants et de ses nouveaux amis. Soudain il se redressa.
— Regardez…
La lune en son dernier quartier se levait au-dessus des collines.
— Quelle lumière pour un si mince croissant ! murmura Raquel.
Joaquim se releva. Il marmotta des paroles incompréhensibles et disparut dans l’ombre d’un arbre.
— Qu’a-t-il dit, papa ? demanda Raquel.
— « Ici », me semble-t-il.
— Il n’est plus là. Comme s’il n’y avait jamais été…
— J’en suis désolé. Il a des yeux de chouette et des oreilles de cerf. J’étais heureux qu’il fût avec nous, mais il doit mener ses propres affaires.
— Il n’est pas très intelligent.
— À sa façon, il est plus sage que bien des hommes. Mais dis-moi, la lune brille-t-elle enfin ?
— Oui. La nuit était tellement sombre avant…
— Dans ce cas, nous aussi devons nous mêler aux ombres. Et faire silence.
CHAPITRE XXIV
Yusuf avait été jeté en travers de la selle de son ravisseur. Il parcourut une distance incalculable dans cette position aussi désagréable qu’humiliante. Il ne voyait que la terre sous les sabots du cheval et,
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