Consolation pour un pécheur
parfois, un pont. Ils évitaient les routes pour passer dans des champs jonchés de cailloux ou emprunter des lits de rivière déjà à sec. À deux reprises le cheval trébucha. Yusuf était convaincu qu’il allait se rompre le cou bien avant d’arriver à destination.
Enfin la lune se leva et, bien que le terrain fût plus ardu, le cheval et son cavalier y voyaient plus clair. Au pas, ils commencèrent à monter le long d’une colline.
L’homme mit pied à terre, mais il n’ôta pas la main du dos du jeune garçon, qu’il écrasait contre le cheval. Puis il le saisit une fois de plus par la taille et le déposa doucement sur ses pieds.
— C’est là que nous marchons. Il n’y a pas beaucoup de lune, mais tu pourras tout de même voir où tu vas.
— Et où vais-je ? demanda Yusuf.
— Ne joue pas à ce petit jeu avec moi, Yusuf. Je ne suis pas très patient et j’ai à la main une dague aiguisée.
Un coup derrière l’oreille le fit tenir tranquille.
— Je tiens la corde qui te lie les poignets. Si tu cries ou appelles au secours, ce sera le dernier son que tu proféreras. J’irai le chercher moi-même. Les bois sont là. Devant nous. Va !
Prisonnier du cauchemar d’un autre, Yusuf s’avança vers les arbres.
— Je ne me sens pas en sécurité ici, affirma Raquel sans toutefois hausser le ton.
— Ici, dans les collines, tu veux dire ? demanda son père. Ou plus précisément dans ces bois où, c’est évident, il fait plus sombre que dans les champs ?
— Dans ces bois, papa. D’où je suis assise, je ne vois pas assez loin pour savoir s’il vient quelqu’un.
— Il est plus facile d’entendre marcher dans la forêt que dans un pré. De plus, nous ne sommes pas visibles tant que nous restons ici.
— Mais, papa, qu’attendons-nous ? Hormis que l’on nous trouve…
— Si tu as peur, ma chérie, peut-être devrions-nous t’éloigner d’ici. Moi, je dois rester. Ma présence en ce lieu constitue notre seul espoir de retrouver Yusuf.
— Je ne comprends pas.
— Moi non plus, avoua Isaac. À moins que ce ne soit une histoire contée par un dément. Pour quelque obscure raison, il souhaite me voir ici – il s’est donné beaucoup de mal pour me faire venir – et il a enlevé Yusuf. S’il ne l’a pas tué – et je ne pense pas qu’il le fera…
— Pourquoi ?
— Parce que après la visite de Sa Majesté, chacun sait en ville ce que représente cet enfant.
— Peut-être compte-t-il demander une rançon.
— C’est possible. Ou, pour un mobile qui m’est encore inconnu, chercher à me contrôler. J’aimerais découvrir de quoi il s’agit. Il nous sera plus facile de le délivrer si nous savons pourquoi il a été emmené. Mais je propose que nous fassions silence pour ne pas attirer l’attention de Marc le Fauve.
— Marc le Fauve ?
— Celui qui nous a conduits jusqu’ici.
— Il n’est pas reparti ? demanda Raquel, inquiète.
— J’ai entendu des bruits de pas dans la forêt. Je peux en expliquer certains, mais pas tous. En revanche, je n’ai entendu personne quitter le bois ou descendre le long de la colline. La nuit est paisible, j’aurais dû… Écoute, murmura-t-il. On vient par ici, et c’est quelqu’un qui ne tient pas à garder le silence.
Ils restèrent longtemps sans parler jusqu’à ce qu’un long sifflement déchire l’air.
— Qu’est-ce que c’est ? dit Raquel à voix basse.
— Il y a quelqu’un. Et il appelle des renforts, me semble-t-il.
Il est décidément bien peu aisé de marcher en pleine nuit en terrain difficile quand on a les bras liés dans le dos, songeait Yusuf. Il préférait se concentrer sur des futilités pour éviter de penser aux choses plus importantes. Quelque part dans le lointain – devant lui, sur sa gauche –, il y avait du monde. Il perçut un murmure qui n’était pas celui de la brise, et une odeur vint caresser ses narines. Il ralentit pour écouter.
La corde tira vivement sur ses bras et la pointe du couteau lui piqua le cou.
— Qu’est-ce que tu fais ? chuchota l’homme qui se tenait derrière lui.
Yusuf s’immobilisa et dit la première chose qui lui passait par la tête.
— Je crois que c’est là.
— Ah, tu crois ? fit l’homme en secouant la corde. Tu ferais mieux d’être sûr de toi.
— Mais, messire, répondit Yusuf de sa voix la plus plaintive, les choses semblent si différentes dans le noir…
— Bon.
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