Conspirata
confia-t-il le lendemain matin pendant
que son valet l’habillait, je ne peux pas m’empêcher de me sentir comme un
sujet que l’on somme de recevoir un conquérant plutôt que comme un partenaire
des affaires de l’État qui doit en rencontrer un autre sur un pied d’égalité.
Lorsque nous arrivâmes au Champ de Mars, des milliers de
citoyens cherchaient déjà à entrevoir leur héros, qui n’était plus, disait-on,
qu’à un mille ou deux de là. Je me rendis compte que Cicéron était légèrement
contrarié par le fait que, pour une fois, la foule lui tournait le dos et ne
lui prêtait aucune attention, puis, quand nous entrâmes dans la Villa Publica,
son amour-propre reçut un autre coup. Il s’était attendu à rencontrer Pompée en
privé mais découvrit que d’autres sénateurs, dont Pupius Pison et Valerius
Messalla, les deux nouveaux consuls, et leur suite attendaient déjà. La salle
était sombre et froide, comme le sont souvent les bâtiments publics peu
utilisés, et, bien qu’il y régnât une forte odeur d’humidité, nul n’avait pris
la peine d’allumer du feu. Cicéron fut contraint d’attendre assis sur une chaise
dorée inconfortable, en échangeant quelques propos guindés avec Pupius,
lieutenant taciturne de Pompée qu’il connaissait depuis longtemps et n’aimait
guère.
Au bout d’une heure environ, le bruit de la foule s’intensifia
dehors, et je compris que Pompée avait dû apparaître. Bientôt, le vacarme fut
tel que les sénateurs cessèrent toute tentative de conversation et demeurèrent
muets, pareils à des étrangers rassemblés là par hasard, cherchant à s’abriter
d’un orage. Dehors, les gens couraient de tous côtés, les cris et les
acclamations résonnaient partout. Une trompette sonna. Nous finîmes par
entendre un bruit de bottes dans l’antichambre attenante, et la voix d’un homme :
— Eh bien, on ne peut pas dire que les Romains ne t’aiment
pas, imperator !
Puis la voix tonnante de Pompée répondit clairement :
— Oui, tout s’est bien passé. Tout s’est très bien
passé.
Cicéron se leva avec les autres sénateurs et, l’instant d’après,
l’imposant général entra dans la pièce en grand uniforme : cape rouge et
cuirasse de bronze rutilant ornée d’un soleil dardant ses rayons. Il remit son
casque à aigrette à un aide de camp tandis que ses officiers et ses licteurs
entraient à sa suite. Il passa ses doigts charnus dans sa chevelure toujours
aussi invraisemblablement fournie, la rejetant en arrière pour former cette
vague familière qui surmontait son visage large et buriné. Il avait peu changé
en six ans sinon qu’il était devenu – si une telle chose était
possible – encore plus imposant du point de vue physique. Son torse
paraissait immense. Il serra la main des consuls et des autres sénateurs et
échangea quelques mots avec chacun d’eux tandis que Cicéron observait la scène,
mal à l’aise. Enfin, il s’approcha de mon maître.
— Marcus Tullius ! s’exclama-t-il.
Il fit un pas en arrière et l’examina attentivement, s’arrêtant
avec un émerveillement feint sur les souliers cirés rouges de Cicéron puis sur
les plis impeccables de sa toge bordée de pourpre et enfin sur ses cheveux
soigneusement coupés.
— Tu as l’air en forme. Viens donc ici, dit-il en lui
faisant signe d’approcher. Laisse-moi étreindre l’homme sans qui je n’aurais
plus eu de patrie où revenir !
Il serra Cicéron dans ses bras, l’écrasant contre sa
cuirasse, et nous adressa un clin d’œil par-dessus son épaule.
— Je sais que ce doit être vrai puisqu’il n’arrête pas
de me le répéter !
Tout le monde éclata de rire, et Cicéron essaya de faire de
même. Mais l’accolade de Pompée lui avait coupé le souffle et il ne parvint à
émettre qu’un sifflement sans joie.
— Bien, sénateurs, reprit Pompée en souriant à tous,
asseyons-nous.
On apporta un grand fauteuil pour l’ imperator , qui s’y
installa. On lui mit une baguette d’ivoire dans la main. Puis on déroula à ses
pieds un tapis qui représentait une carte d’Orient et, tandis que les sénateurs
baissaient les yeux dessus, il entreprit de désigner avec la baguette les
régions où il avait accompli ses exploits. Je pris des notes pendant qu’il
parlait, et Cicéron put ensuite les étudier à loisir, une expression d’incrédulité
sur le visage. Durant sa campagne, Pompée avait, disait-on, pris
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