Contes populaires de toutes les Bretagne
tu viens d’amener à
Camors !
Le pauvre homme la contemplait, les yeux hagards en
murmurant une prière à Notre-Dame, à sainte Anne et à saint Matelin. Il
tremblait d’épouvante. Mais pendant ce temps, la vieille grimpait sur la
dernière marche, et parvenue là, sa maigre échine redressée, son manteau rejeté
en arrière, elle décrivit avec sa béquille un arc de cercle sur l’horizon. Et
elle dit :
— Regarde-moi bien. De quelque côté que je me tournerai,
j’emporterai tout avec moi.
Elle n’avait pas menti, la maudite. Elle était vraiment la
Peste. Elle arrivait de ravager les terres d’Hennebont et d’Auray, et gorgée de
sang, elle venait là chercher de nouvelles victimes. Les paroisses vers
lesquelles ses yeux s’étaient portés étaient Camors, La Chapelle-Neuve et
Plumelin.
Or, à quelque temps de là, à PlumeIin, à La Chapelle-Neuve
et à Camors, il y eut tant de cadavres qu’on ne trouva plus de fossoyeurs pour
les ensevelir, ni de prêtres pour bénir les tombes.
Pluvigner seul fut préservé. C’est pourquoi l’on vénère
l’humble croix de granit qui se trouve au carrefour des routes d’Auray et de
Landévant. C’est elle qui empêcha la Peste de pénétrer dans le bourg. Et
depuis, on l’appelle la Croix de la Peste.
Pluvigner (Morbihan).
Ce
conte, recueilli en 1914, témoigne de la terreur dont les campagnes bretonnes
faisaient montre à propos de la peste, qui, au cours des siècles, avait fait
tant de ravages. Il y a bien sûr une intention édifiante dans le schéma de ce récit,
et également une sorte de condamnation des habitants de Camors qui passaient,
aux yeux des habitants de Pluvigner, pour des mécréants.
L’AMOUREUX SANS SCRUPULE
Yann était garçon meunier à Cravial, un petit village de la
commune de Lignol. Il était fort sérieux et n’approuvait pas toujours son
patron quand celui-ci mettait de côté un peu trop de farine, mais après tout,
quel est le meunier qui n’a pas trompé ses clients ? Pourtant Yann ne
rechignait pas à l’ouvrage : il aurait travaillé plus que les autres,
pourvu qu’on ne pût dire quoi que ce fût contre lui. En vrai, c’était un brave
garçon qui n’avait pas de défauts, et cela devient rare dans nos campagnes.
Si, à la réflexion, il avait un petit défaut. Il était
amoureux. Vous me direz que ce n’est pas un défaut et que c’est le sort imparti
à chacun d’entre nous. Il faut bien que cela nous arrive un jour ou l’autre.
Mais le problème, c’est qu’il était amoureux de la fille d’un aubergiste du
Guéméné et que celui-ci, qui était fort riche – on le soupçonnait de mouiller
quelque peu son vin ! –, avait des prétentions concernant sa fille. Il
voulait la marier à quelqu’un qui eût, sinon de la fortune, ça il en avait pour
tout le monde, du moins un état social qui fût honorable. Le pauvre garçon
meunier de Cravial avait fort peu de chances à côté des riches héritiers de
Lignol. Pourtant, il savait que Janed, c’était le nom de la fille, l’aimait de
tout son cœur. Ils s’étaient rencontrés à une noce, et depuis, chaque fois que
Yann passait sur la route, près de l’auberge, et qu’il avait la chance
d’apercevoir la fille, celle-ci lui faisait un signe discret pour bien lui
faire comprendre qu’elle l’agréait et qu’elle ne demandait pas mieux que de
l’épouser.
Alors, un jour, Yann se décida. Il envoya un de ses amis chez
l’aubergiste, histoire de tâter un peu les volontés du père. Mais l’ami revint
bien vite, la tête basse. Il n’était pas question pour l’aubergiste du Guéméné
de marier sa fille à un garçon meunier, un va-nu-pieds, et qui plus est un
débauché, un qui avait la réputation de fréquenter les bals et autres endroits
où le Diable règne en maître. Si Yann voulait se marier, il n’avait qu’à le
faire avec une de ces créatures qu’on rencontre dans ces endroits-là et qui
sont prêtes à donner leur corps au premier venu pourvu que le premier venu ait
quelque argent à lui offrir pour la récompenser de sa gentillesse.
Yann fut très mortifié d’apprendre ce que pensait de lui
l’aubergiste du Guéméné. Et il était encore plus triste parce qu’il
s’apercevait qu’il aimait de plus en plus Janed et qu’il ne pouvait pas vivre
sans elle. On le vit, les jours suivants, errer lamentablement dans les rues du
Guéméné, avec l’espoir d’apercevoir, ne fût-ce qu’un instant, sa
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