Contes populaires de toutes les Bretagne
que j’aurai le dos tourné, tu la suivras
et tu la surveilleras pour savoir où elle habite. Et je suis sûr qu’une nuit ou
l’autre, tu iras jusqu’à sa maison pour la tuer et lui prendre son argent. Je
vais donc te pendre à un arbre et t’enlever les ongles des pieds et des mains.
Tu n’as pas d’autre métier que celui de voleur, mais tu ne pourras plus
l’exercer. De toutes façons, demain, si tu n’es pas mort, je te fouetterai
jusqu’à ce que ton corps s’en aille en lambeaux.
Il fit comme il avait dit. L’homme se mit à hurler. L’ ozegan dit encore :
— Hurle tant que tu voudras. Tu es très bien comme
cela !
Puis il se tourna vers la femme :
— Rentrez chez vous, puisque l’argent ne vous manque
pas. Et ne vous faites plus de souci. Celui que j’ai pendu à l’arbre est le
chef d’une bande de voleurs. Je vais vous conduire, car il est possible que
quelqu’un de la bande ne soit pas loin. Chez vous, vous serez en sûreté. Je
demeure dans le bois. Je vais toujours sur un arbre pour surveiller ce qui se passe,
et vous n’avez rien à craindre, car je vous protégerai si vous en avez besoin.
Quand elle arriva à sa maison, aucun de ses enfants ne s’y
trouvait. Elle dit à l’ ozegan :
— Mon brave homme, c’est vous qui m’avez sauvée, car
sans vous j’étais certainement tuée. Je serais bien contente de vous donner la
moitié de mon argent.
— Non, ma brave femme, répondit l’ ozegan . Je vous remercie, mais je possède vingt fois
plus que ce que vous avez dans votre tablier. Je vais rester un peu avec vous
jusqu’à ce que vos enfants arrivent et je leur dirai quelques mots.
La nuit tombait et les enfants n’arrivaient pas. Une
demi-heure après, on frappa à la porte. L’ ozegan alla ouvrir : c’étaient les trois filles de la femme. Elles semblaient
fort effrayées et il leur demanda :
— Que vous est-il arrivé, mes enfants ?
— Nous avons eu peur, monsieur.
— Qu’avez-vous vu ?
— Dans le bois, il y a deux hommes avec de grands
couteaux !
Alors la mère dit :
— Où sont vos trois frères ?
— Ils vont arriver tout à l’heure.
Dix minutes après, les trois frères arrivèrent. L’ ozegan leur dit de ne plus aller courir au-dehors, de
rester tranquilles chez eux et surtout, lorsqu’ils iraient faire les
commissions de leur mère, d’éviter de passer par le bois.
— Si vous allez dans le bois, vous rencontrerez un
homme qui vous demandera où vous habitez et si vous avez de l’argent. Or, je
sais que les enfants disent tout.
Un des garçons dit à l’ ozegan :
— Dans le bois, il y avait un homme pendu à un arbre,
et quatre hommes étaient en train de le détacher pour l’emmener. Il a dit aux
autres qu’une femme chargée d’argent était passée par là et qu’elle ne devait
pas habiter très loin.
— Eh bien, dit l’ ozegan ,
c’était donc cela. Mais ne vous faites plus de souci. Dans deux mois, il n’y
aura plus personne de la bande, car je les tuerai tous les uns après les
autres. Alors, vous pourrez vous promener n’importe où en toute sécurité.
Pensez à moi, car j’ai fait le bonheur de votre mère, et je ferais de même pour
vous si vous aviez des difficultés. Je m’en vais. Bonne nuit et bonne chance à
tous.
Et l’ ozegan disparut dans la
nuit.
Camors (Morbihan).
Ce conte
caractéristique du Morbihan traduit la hantise des voleurs mais montre les
Korrigans sous un aspect bénéfique.
LA CROIX DE LA PESTE
Le long de la route tortueuse qui mène, par landes et
taillis, d’Auray à Pluvigner, un paysan de Camors cheminait, conduisant sa
charrette. Il faisait un gros temps d’après-midi de décembre. Le ciel triste et
endeuillé pleurait d’épaisses gouttes d’eau. De lourds nuages couraient au ras
du sol, comme des linceuls en lambeaux, déchirés et soulevés par les rafales de
vent.
Le paysan n’était plus très loin de la sinistre plaine de
Tréauray, qui jadis, à l’époque où les Bretons se battaient entre eux, vit la
mort de milliers d’hommes, lorsqu’il aperçut devant lui une pauvre vieille,
l’air épuisé et la démarche incertaine. Elle avait la main appuyée sur un bâton
et elle se traînait plutôt qu’elle ne marchait le long de la chaussée.
C’était vraiment une étrange figure : sa peau
parcheminée, coupée de mille rides, ses joues creuses, sa large bouche édentée,
ses yeux éteints, qui parfois s’allumaient d’un
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