Contes populaires de toutes les Bretagne
colère.
— Tu m’as encore une fois trompé ! dit-il en
grinçant des dents. Tu as mis ma patience à bout ! Je veux perdre mon nom
si je ne t’arrache la peau du ventre ! Nous allons nous battre
sur-le-champ !
— Si tu y tiens, dit Gwennolé, je veux bien. Mais où
allons-nous nous battre ?
— Sur les poutres de la maison en construction que tu
vois devant nous !
— Bien, dit Gwennolé, mais quelles seront les
armes ?
— Chacun prendra celle qu’il voudra.
— Alors, dit Gwennolé, je prends cette trique de chêne.
— Et moi, dit le Diable, je prends ce couteau de
boucher.
Le combat s’engagea. Il ne fut pas de longue durée. Le Diable
avait beau être agile et sauter de poutre en poutre, comme un chat sauvage, les
coups de bâton pleuvaient dru sur ses côtes et sur ses épaules, tandis qu’avec
son couteau, qui était beaucoup trop court, il ne réussissait qu’à frapper le
vide. Jamais il ne fut frotté plus rudement. Tout dépité et sanglant, il se
disposait à demander grâce, quand, son pied étant venu à glisser, il tomba
entre deux poutres et s’écrasa en bas sur les pierres du foyer.
Il lui fallut des mois pour se remettre de cette chute. Mais
dès qu’il se sentit en bonne voie de guérison, il ne pensa plus qu’à une chose,
se venger de Gwennolé.
— Cette fois, tu ne m’échapperas pas ! dit-il un
matin à Gwennolé.
— Nous verrons bien, répondit Gwennolé.
— Nous allons nous battre de nouveau !
— C’est bien. Je suis prêt. Où allons-nous nous
battre ?
Le Diable réfléchit un instant. Gwennolé et lui se
trouvaient dans le four de l’ermitage.
— Eh bien, dit le Diable, ce n’est pas la peine d’aller
ailleurs. Nous allons nous battre ici même.
— Si tu veux, dit Gwennolé. Tu as ton couteau ?
— Ah ! dit le Diable, il n’est pas question de
recommencer comme l’autre fois. C’est de la fourche que voici qu’il te faudra
goûter !
Alors Gwennolé ramassa le couteau que le Diable avait jeté.
— Je suis prêt, dit-il.
Ils commencèrent à se battre. Mais sous la voûte basse du
four, la fourche était un outil plus encombrant qu’utile. Le Diable ne pouvait
guère s’en servir, et en serrant de près son adversaire, Gwennolé n’avait rien
à redouter. Au contraire, le couteau qu’il tenait à la main et qu’il maniait
avec adresse lui était d’un grand secours et la peau du Diable compta plus de
trous qu’il n’y en a dans un crible.
— En veux-tu encore ? disait Gwennolé. En
voici !
Le Diable, jugeant la partie perdue, fit un effort désespéré
pour se dégager. Il gagna d’un bond la porte du four qui était restée ouverte
et il décampa comme s’il avait eu à ses trousses tous les chiens enragés du
monde.
Et Gwennolé ne le revit jamais plus.
Aber-Wrach (Finistère).
À Belz
(Morbihan), on raconte une histoire à peu près identique à propos de saint
Kado. En fait, il s’agit d’une légende universelle que Rabelais a utilisée dans
l’épisode de l’île des Papefigues du Quart Livre , agrémenté d’un dénouement
vraiment « rabelaisien ». Mais en dehors de l’aspect comique de la
lutte entre le saint et le Diable, il faut voir le mythe d’Ahura-Mazda, dieu de
la Lumière, combattant Ariaman, dieu des Ténèbres, mythe récupéré par le
christianisme dans la légende de saint Michel et du Dragon. Sur le plan psychologique,
c’est l’éternel combat entre le corps et l’esprit, entre le corps lourd et
maladroit (le Diable) et l’esprit rusé et subtil (le dieu, l’archange ou le
saint).
L’HOMME JUSTE
Il y avait une fois un pauvre homme dont la femme venait de
donner naissance à un fils. Il voulait que son enfant eût pour parrain un homme
juste, et il se mit en route pour le chercher.
Comme il marchait, son bâton à la main, il rencontra un
homme qui lui était inconnu, mais qui avait bonne apparence. Et cet homme lui
demanda :
— Où vas-tu ainsi, brave homme ?
— Chercher un parrain pour mon fils nouveau-né.
— Si tu le veux, je serai le parrain de ton fils.
— C’est que, répondit le pauvre homme, je voudrais un
homme qui fût juste.
— Eh bien ! tu ne peux pas mieux tomber.
— Comment ? Qui êtes-vous donc ?
— Je suis le Seigneur Dieu.
— Vous juste ? dit le pauvre homme. Oh non !
certainement pas ! j’entends se plaindre de vous partout sur la terre.
— Ah ! et pourquoi donc ?
— Pourquoi ? Oh ! pour bien
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