Contes populaires de toutes les Bretagne
C’était un véritable château fort de
cristal. Il faut dire qu’il avait gelé très fort durant la nuit et que Gwennolé
avait bâti sa maison avec de la glace. Le Diable se souvenait d’avoir vu de
semblables bâtiments autrefois au paradis. Il entra, il visita les belles
salles du rez-de-chaussée, monta au premier étage pour admirer les chambres, il
alla jusqu’au second étage, de plus en plus émerveillé.
— Certes, dit le Diable, c’est un vrai palais, un
palais qui brille comme le soleil levant.
— Alors ? demanda Gwennolé. Tu t’avoues
vaincu ?
— Je ne dis pas cela, mais, si tu le voulais, nous
pourrions nous entendre.
— Comment ? dit Gwennolé.
— Nous pourrions faire un échange.
— Voyons tes offres.
— Mon château contre ton palais, et ce que tu voudras
en plus.
— Je ne demande rien de plus, dit Gwennolé.
— Alors, prends mon château, dit le Diable.
— Va demeurer dans mon palais, dit Gwennolé.
Le Diable, voulant jouir bien vite et seul de son magnifique
palais, s’arrangea pour congédier Gwennolé. Il monta jusqu’au second étage,
entra dans la plus belle chambre, prit un fauteuil de cristal et s’installa
près d’une fenêtre pour se reposer des fatigues de la nuit et pour contempler
le soleil levant. Quel beau panorama ! La lumière entrait dans le palais
par tous les côtés à la fois. La mer était calme, la campagne était blanche
avec la gelée qui la recouvrait, le ciel était pur comme aux plus beaux jours
de janvier. Le Diable était en extase depuis plusieurs heures quand il fut
rappelé à lui par des craquements horribles. Les glaçons fondaient au soleil et
le palais commençait à glisser et à s’effondrer. Quand le Diable revint de son
ébahissement, il était déjà trop tard, tout était brisé. Lorsqu’il put se
relever, il ne trouva de son beau palais qu’un peu de boue.
Alors le Diable se précipita chez Gwennolé qui se tenait à
la fenêtre de son château et qui regardait la mer.
— Mon palais s’est effondré ! dit le Diable.
— Il fallait mieux le garder, répondit Gwennolé.
— Tu te moques de moi !
— Te dois-je quelque chose ? Nous avons fait notre
échange en bonne et due forme.
Le Diable ne trouvait rien à redire. Mais il n’en était pas
moins furieux d’avoir été joué. Il s’éloigna en maugréant.
À quelque temps de là, Gwennolé sortait d’un champ qu’il venait
de labourer quand il s’entendit appeler par son nom. C’était la voix du Diable.
— Que veux-tu encore ? demanda-t-il sans se
retourner.
— Avec ta permission, j’ai une proposition à te faire.
— Je t’écoute, dit Gwennolé.
— Tu sais que je suis fort et vaillant, dit le Diable.
Si tu me promets la moitié du produit de ton champ, je le garderai de toute
intempérie. J’empêcherai qu’il y grêle et qu’il y fasse trop chaud. Quand
l’heure sera venue, je me chargerai de la récolte et tu n’auras qu’à me regarder
faire. Le désœuvrement m’ennuie et ce travail me distraira. Je te demande
seulement de t’occuper de la semence.
— On peut s’entendre, dit Gwennolé. Mais faisons bien
nos conditions. Si tu me prêtes tes bras, quelle part te réserves-tu ?
— Comment, quelle part ?
— Oui, celle de dessus la terre, ou celle de
dessous ?
Le Diable réfléchit un instant.
— Bien, dit-il. Tout ce qui poussera dans le champ
au-dessus de la terre sera pour moi, tout ce qui poussera au-dessous
t’appartiendra.
— Affaire conclue, dit Gwennolé.
Et quand le Diable eut tourné les talons, Gwennolé sema des
navets dans son champ.
Le temps de la récolte arriva. Le Diable se mit en devoir de
ramasser le produit de la terre. Mais on devine ce qui se passa : le
Diable entra dans une colère rouge en voyant quelle belle récolte de navets
aurait Gwennolé pour passer son hiver, tandis que lui devait se contenter de
feuilles et de mauvaises herbes.
— Tu m’as trompé, dit le Diable, mais on ne m’y
reprendra plus. L’année prochaine, je me réserve la récolte de tout ce qui
poussera sous la terre.
— C’est juste, dit Gwennolé.
Et quand le Diable fut parti, Gwennolé sema du blé.
Tout alla bien jusqu’au mois d’août. Le Diable, fidèle à ses
engagements, s’occupa de la récolte. Mais quand il vit que la part de Gwennolé
consistait en beaux et lourds épis de blé tandis que lui n’avait que des
racines sans valeur, il eut encore un accès de
Weitere Kostenlose Bücher