Crépuscule à Cordoue
impliqué. Et vous aussi, puisque vous étiez ses invités.
J’espérais les avoir impressionnés suffisamment pour qu’ils laissent échapper une information ; afin de se disculper eux-mêmes.
— On ne sait rien là-dessus, déclara Norbanus, réduisant mes espoirs à néant.
— Ah ? Alors pourquoi avez-vous quitté Rome aussi précipitamment ?
— Nous avions fini de traiter nos affaires. Alors, puisque nous avions refusé sa proposition, nous avons pensé que la bienséance nous demandait de ne pas abuser de l’hospitalité du sénateur.
— Tu admets donc qu’il vous a fait une proposition ?
Norbanus se contenta de sourire d’un air chafouin.
L’explication qu’il me fournissait pour expliquer leur départ était plausible. Et s’ils avaient vraiment refusé une proposition d’Attractus, quitter sa maison était également un moyen de l’empêcher d’insister lourdement. Je savais aussi qu’ils avaient appris la nouvelle du meurtre avant leur départ, et ils avaient sans doute fait le rapprochement avec le complot en train de s’ourdir. Ce qui n’avait pu que les pousser à disparaître au plus vite.
— Tout de même, assenai-je d’une voix sombre, cette fuite juste après la découverte d’un meurtre, ça paraîtra suspect à un tribunal. Une grande partie de mon travail consiste à trouver des arguments aux avocats, et ce genre d’histoire leur plaît tout particulièrement.
— Tu nous accuses à tort ! déclara froidement Norbanus.
— Non, je ne vous ai pas encore accusés.
Après quelques instants d’un silence embarrassé, Cyzacus reprit suffisamment ses esprits pour dire :
— Nous sommes sincèrement désolés pour les victimes.
— Si c’est bien le cas, vous voudrez peut-être m’aider. Il faut que je retrouve une fille censée se trouver actuellement à Hispalis. En termes officiels, elle détient des renseignements susceptibles d’aider l’enquête.
— C’est-à-dire qu’elle a fait le coup ! traduisit brutalement Norbanus.
— Elle assistait au souper, précisai-je en souriant. Elle a dansé pour vous. Et Attractus a beau avoir payé son cachet de sa poche, il prétend ne pas la connaître. Il est possible qu’elle s’appelle Selia…
À ma plus grande surprise, ils admirent sans aucun détour qu’ils la connaissaient. C’était bien son nom. Il s’agissait d’une fille du coin qui ne possédait pas beaucoup de talent et qui avait du mal à lancer sa carrière. Ils avouèrent avoir été très surpris de la voir se produire ce soir-là. Ils avaient cru qu’elle avait fini par se faire un nom à Rome. Mais ayant appris son retour à Hispalis, ils en avaient conclu que tel n’était pas le cas.
— Tu la connais très bien ? demandai-je à Cyzacus en le regardant droit dans les yeux. Est-ce que c’est elle qui est venue te demander il n’y a pas si longtemps ?
— Les filles du genre de Selia ne sont pas les bienvenues dans le local de la guilde, affirma-t-il, sans paraître se troubler.
— Alors tu ne l’as pas revue ? insistai-je.
— C’est exact, répondit-il froidement.
Je fus tout de suite persuadé qu’il mentait mais que je ne pourrais rien lui arracher de plus.
Je tentai donc de lui expliquer patiemment pourquoi je lui posais cette question.
— Il y a une seconde femme qui se promène aussi dans la région en interrogeant les gens. Les deux sont synonymes d’ennuis. L’homme qui m’a appris qu’une fille t’avait demandé m’a dit que c’était une beauté, mais ses critères sont peut-être différents des miens. Alors c’était Selia, oui ou non ?
— Comment veux-tu que je te réponde, grogna Cyzacus, puisque je ne l’ai pas vue ?
Heureusement, quand je posai aux deux hommes la question la plus importante, ils ne firent aucune difficulté pour y répondre. Ils m’expliquèrent où Selia habitait.
44
Je repris à pied la direction des quais en m’efforçant de chasser de mes pensées le souvenir de ces deux hommes qui venaient d’avaler cet énorme déjeuner « de travail ». Je détestais soudain cette enquête. J’étais incapable d’accorder ma confiance aux personnes qui m’avaient envoyé en mission. C’était pire que d’habitude. J’avais l’impression d’être l’enjeu d’une rivalité entre Læta et Anacrites. Et je ne supportais plus d’être seul.
Si Helena s’était trouvée près de moi, elle n’aurait pas hésité à me tourner en ridicule en me disant
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