Crépuscule à Cordoue
impliqué, comme je le craignais depuis longtemps. Une lutte plus sanglante que je ne m’y serais attendu, née d’une rivalité entre deux hauts fonctionnaires du palais.
Ce qui se passait ici en Bétique n’intéressait sans doute personne à Rome. Le complot des producteurs d’huile d’olive servait très probablement d’excuse à Anacrites et Læta pour se mesurer l’un à l’autre. Ou au seul Læta. J’avais beau haïr le chef espion depuis longtemps, il commençait à m’apparaître comme une innocente victime dans cette affaire-là. Quand on lui avait défoncé le crâne, il était vraisemblablement en train de faire son travail pour protéger une denrée de première nécessité. Et il n’avait pas jugé bon de se méfier de Læta. Lors de leur rencontre, pendant le souper qui s’était terminé si tragiquement, ils avaient échangé des propos aigres, mais Anacrites n’avait sans doute pas soupçonné un seul instant que le chef secrétaire avait déjà organisé son départ pour l’autre monde. En compagnie de son meilleur agent.
Je pouvais me désintéresser de ces sordides intrigues de palais, mais pas de la mort de Valentinus, qui continuerait à me hanter.
Cette histoire sentait affreusement mauvais, et j’étais furieux contre moi-même de m’y trouver mêlé. Par ma faute. Le père d’Helena m’avait pourtant prévenu d’éviter de m’occuper des machinations ourdies au palais. J’aurais dû deviner depuis le début que Læta allait chercher à se servir de moi. En réalité, je m’en doutais, mais je m’étais tout de même laissé circonvenir. Ma mission n’était que de la poudre aux yeux. Si le chef secrétaire avait effectivement engagé Selia pour se débarrasser d’Anacrites et occuper sa place, il s’était assuré mes services dans l’unique dessein de recouvrir ses traces. De ce fait, il pouvait clamer publiquement qu’il recherchait les coupables. Il avait sans doute pensé que je ne retrouverais jamais la danseuse. Peut-être même pensait-il que je serais tellement occupé à enquêter sur un complot visant à truquer le prix de l’huile d’olive que je ne la rechercherais même pas… Ou au contraire, il souhaitait que je la retrouve et, anticipant la réaction de Selia, il espérait que je serais obligé de la tuer en légitime défense. Ainsi, il serait débarrassé de quelqu’un qui en savait trop sur lui…
Quant au questeur et à son sénateur de père, ils ne jouaient certainement qu’un rôle accessoire dans cette infâme aventure. Tout ce que je pouvais faire, c’était signaler à l’empereur que Quinctius Attractus commençait à acquérir beaucoup trop de pouvoir en Bétique, et laisser le proconsul agir à sa guise avec Quadratus. Je m’avançais sur un terrain glissant. Aucun enquêteur privé ne peut se permettre d’accuser un sénateur de quoi que ce soit sans avoir de solides preuves et le soutien de gens importants. Or, je n’étais sûr de rien et je n’avais le soutien de personne.
Toutefois, je n’avais pas l’intention de laisser Claudius Læta acquérir davantage de pouvoir grâce à la disparition du chef espion. Après avoir obtenu ce qu’il souhaitait, j’étais à peu près certain qu’il ne se soucierait pas le moins du monde du prix de l’huile d’olive. Je me rappelais maintenant combien il s’était montré jaloux des signes de réussite dont était entouré Anacrites : l’appartement dans le palais des Césars, la villa à Baies. La dernière chose qu’il souhaitait, c’était de me voir revenir à Rome ayant appris qu’il avait payé Selia pour éliminer le chef espion. Car jamais Vespasien ne pourrait le lui pardonner.
Qui sait si je n’allais pas être obligé d’utiliser ce renseignement comme monnaie d’échange, afin d’assurer ma propre protection ? La perspective était peu réjouissante. Je ne voulais pas encombrer ma vie d’un puissant politicien qui s’inquiéterait continuellement de ce que je savais sur lui. Mais Læta ne me laissait pas le choix.
Je restai pratiquement deux jours en selle à cogiter follement, et à mon arrivée, j’ignorais ce qui était le plus en mauvais état, de mes muscles ou de mon cerveau. J’étais tellement fatigué quand j’atteignis le mansio de Cordoue que je faillis rester y dormir. Mais j’avais trop envie de voir Helena Justina. Et ce sentiment me donna la force de poursuivre mon chemin. Je récupérai le cheval qu’Optatus m’avait
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