Crépuscule à Cordoue
près d’eux, la lame ensanglantée.
— La fille ! haleta Placidus après que j’eus proprement assommé son adversaire.
Passant un bras autour de lui, je l’aidai à s’appuyer contre la margelle du puits. Quelqu’un qui avait été esclave, même au palais impérial, avait forcément appris à se défendre.
— C’est la fille qui m’a attaqué par surprise avec mon poignard.
— Elle s’est sauvée ? demandai-je en le ramassant.
Visiblement désolé, il acquiesça d’un signe de tête. J’écartai doucement sa tunique pour examiner sa blessure.
— Économise tes forces, ne parle pas. On a tout de même arrêté ces deux criminels.
J’étais furieux d’avoir laissé filer Selia, mais je gardai mes sentiments pour moi. Placidus avait pris des risques. Et il avait payé le prix fort. Sa blessure était profonde. Il n’en avait pas moins l’air content de lui.
— C’est grave, Falco ?
— Tu vas survivre. Mais la douleur ne va pas tarder à se réveiller.
— Ne t’inquiète pas pour moi, Falco. Essaye de rattraper la fille.
En d’autres circonstances, c’est sans doute ainsi que j’aurais agi.
Mais il m’était impossible d’abandonner le procurateur dans ce quartier pouilleux où Selia comptait peut-être d’autres amis. Une petite foule s’était d’ailleurs rassemblée. Personne n’offrit de nous aider, mais personne non plus ne chercha à se mettre en travers de notre route.
Tout en soutenant Placidus, je fis avancer le boiteux au bras cassé devant moi en le piquant dans le dos de la pointe de ma dague. J’avais l’intention de le conduire au premier poste de garde venu. Nous avancions difficilement. Heureusement, nous n’eûmes pas à aller très loin. Et plutôt que de voir Placidus tomber évanoui à leurs pieds, les badauds préférèrent nous indiquer le chemin. Le bon chemin, car j’arborais un air qui leur enlevait toute envie de nous mentir.
Nous boitâmes donc en chœur jusqu’au poste de garde sans autre incident majeur. Dès notre arrivée, mon prisonnier fut enfermé dans une cellule tandis que quelques officiers allaient chercher son complice. Placidus fut gentiment allongé, et quelqu’un de compétent nettoya et banda sa blessure. Il commença par protester faiblement, puis perdit connaissance, ce qui facilita la tâche à son soigneur.
Je passai le restant de la journée à mener des recherches pour retrouver Selia, mais sans succès. Étant réaliste, je n’étais pas vraiment surpris. Elle avait dû s’empresser de mettre un maximum de milles entre Hispalis et elle.
J’étais néanmoins parvenu à apprendre quelque chose sur elle. Si j’étais conscient qu’elle m’avait probablement débité un tissu de mensonges, je voyais toutefois un plan sinistre se dessiner devant mes yeux. S’il était exact qu’elle travaillait pour Claudius Læta, elle et moi recevions nos gages des mêmes mains sales. Façon de parler. Je venais de découvrir que je n’avais aucune vraie mission à accomplir et que je pouvais difficilement espérer être payé. Et d’ailleurs, étant donné les circonstances, je n’étais pas certain d’en avoir envie.
Il était temps de regagner Cordoue. J’étais impatient de discuter des derniers événements avec Helena Justina. Si elle était d’accord, j’allais tout envoyer promener, et nous pourrions regagner Rome au plus vite.
51
Je galopai encore plus vite pour accomplir le voyage de retour. Autour de moi, recouvrant toute la plaine alluviale qui s’étend au sud du Guadalquivir, je pouvais admirer les plus belles oliveraies d’Hispanie. Si leurs olives n’étaient peut-être pas les meilleures à consommer, elles n’en produisaient pas moins la meilleure huile. Au-delà du fleuve, malgré le soleil qui tentait de les calciner, les collines restaient vertes. Les arbres et les buissons poussaient partout avec une belle vigueur. Je traversais une région étonnamment fertile, et pourtant mon humeur demeurait particulièrement morose.
Avant toute chose, je m’inquiétais pour Helena. Et j’étais heureux de n’être plus très loin d’elle. Mais ce que j’avais appris de la bouche de la danseuse me remplissait d’appréhension. Je n’en avais pas parlé à Placidus, car il avait suffisamment d’ennuis avec sa vilaine blessure. Si Selia travaillait réellement pour Læta, les agressions à Rome pouvaient s’expliquer par une lutte pour le pouvoir – dans laquelle je me retrouvais
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