Crépuscule à Cordoue
Il a reçu une missive de Cornelius expédiée d’Athènes, où son ami lui dit de ne parler à personne du rapport qu’il lui avait confié – et surtout pas à Quinctius.
— Laisse-moi deviner. Ælianus lui en avait déjà parlé ?
— C’est ce qu’il a avoué à Justinus.
— Il avait pourtant prétendu qu’il était en froid avec Quadratus depuis qu’il avait découvert que ton père se faisait gruger en leur donnant ses olives à presser.
— Les querelles entre des jeunes gens de cet âge ne durent pas longtemps. Ælianus et Quadratus se sont revus à Rome. Avant d’aller porter le rapport au palais, mon frère est passé à la résidence Quinctius et l’a laissé dans sa cape. Quand il l’a récupéré, le sceau lui a paru différent. Il l’a de nouveau ouvert et il a constaté que le texte avait été modifié.
— Donc, Quadratus et son père ont essayé de minimiser le complot. Est-ce que ton frère en a touché un mot à son cher copain ?
— Oui, bien sûr. Et ils sont de nouveau brouillés.
— Trop tard malheureusement ! m’exclamai-je.
— Et Ælianus a remis le texte modifié à Anacrites sans rien oser lui avouer. Il faut maintenant que je te parle de Quadratus.
— Qu’a-t-il fait pour t’ennuyer ?
— Cet insupportable enfant gâté, qui croit être un cadeau envoyé par Jupiter aux filles, s’est imposé chez nous. Et par ta faute.
— Oh, forcément ! grimaçai-je.
— Parfaitement. À cause de ton fringant Caracoleur.
— Mais ce cheval appartient à Annæus Maximus…
— Sans doute, mais tu l’as prêté à Quadratus et à Constans. Et Tiberius soi-même l’a ramené ici.
— Je lui avais pourtant dit que c’était inutile.
— Ce n’est pas ça le pire. Il s’est ensuite installé ici, où personne ne peut le supporter. Et, comme tu as pu le constater, il utilise toute l’eau chaude !
— Mais Helena, ma chérie, comment cet importun s’y est-il pris pour être invité ?
— Caracoleur a réussi à lui faire vider les étriers et il a mal au dos.
— Je ne veux plus entendre personne se moquer de ce cheval ! m’écriai-je. Il est formidable.
Tout en poursuivant la conversation, Helena me raclait énergiquement le dos avec un strigile de bronze.
— Alors, Quadratus est cloué au lit ?
— Malheureusement pas. Il arrive à se déplacer dans la maison. Optatus ou moi le trouvons sans cesse sur notre chemin à nous infliger son numéro de charme.
— Quelle plaie !
— Et il a dû penser que la politesse l’obligeait à s’intéresser à ma grossesse. Il n’arrête pas de m’interroger sur des sujets auxquels je refuse de penser. Il est pire que ma mère.
— Pire que ta mère ? Eh bien ça alors ! Comment va-t-on pouvoir s’en débarrasser ? À propos, comment se passe ta grossesse ?
— Ne fais pas semblant de t’y intéresser, Falco. Je vois clair dans ton jeu.
Elle s’efforçait de plaisanter, mais elle était très fatiguée. Je lui enlevai le strigile de la main pour me débarrasser moi-même de ma sueur, de l’huile et de la crasse. Puis nous nous assîmes sur le banc de bois pour y rester tant que nous pourrions supporter la chaleur inhabituelle en ces lieux. L’esclave avait réussi à réaliser des prodiges avec le feu. Helena Justina rassembla ses cheveux humides pour les attacher sur sa nuque.
— Marius Optatus avait au moins la possibilité de partir dans les champs, poursuivit-elle. Tandis que moi, j’étais coincée avec l’invité. Il a fallu que je lui parle et, surtout, que je l’écoute. C’est un homme. Il tient à être le centre d’intérêt. Et pourtant, il n’a que des choses insignifiantes à raconter. Des banalités qu’il débite sans le moindre humour.
Je riais doucement. J’adorais entendre Helena Justina s’en prendre à quelqu’un d’autre.
— Il t’a fait des avances ? demandai-je.
— Bien sûr que non.
— Alors, c’est qu’il est encore plus idiot que je le croyais !
— Il me traite comme une divinité à qui il ouvrirait son cœur. Et ce qu’il a dans le cœur n’est pas plus intéressant que le reste.
— A-t-il admis être un vaurien ?
— Il en est incapable, assura ma compagne. Il ne différencie pas le bien et le mal.
Je mordillais pensivement ma lèvre inférieure en l’écoutant.
— Il a de hautes aspirations ? demandai-je. Des talents cachés ?
— Il aime chasser, boire, lutter – avec des adversaires
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