Crépuscule à Cordoue

yeux s’étaient habitués au demi-jour, je regardai attentivement autour de moi. Tout l’équipement nécessaire se trouvait en effet sur place.
    — Je n’imagine pas comment une personne seule pourrait s’y prendre, grogna le fermier. Et à deux, l’opération ne peut réussir qu’avec une parfaite coordination des mouvements.
    — Alors peut-être que Constans et la personne qui lui donnait un coup de main se sont querellés. Le frère de Claudia devait se trouver en bas et son partenaire juché sur le bassin. La meule a dû glisser et l’écraser, conclus-je.
    — Espérons qu’il est mort sur le coup ! s’exclama Optatus visiblement très affecté.
    — Sans aucun doute, affirmai-je. Et même si on avait enlevé la pierre tout de suite, ç’aurait déjà été trop tard.
    — Rufius était jeune, il n’avait sans doute jamais vu personne changer les meules. C’était de la folie d’essayer sans l’aide d’un ouvrier expérimenté.
    — Oui. Il y avait très certainement quelqu’un avec lui, mais qui n’avait probablement pas davantage d’expérience. La lourde pierre à dû lui échapper…
    — À moins qu’il ne l’ait poussée ! déclara froidement Optatus.
    — Tu ne devrais pas tirer des conclusions trop hâtives. Mais même s’il s’agit d’un accident, on peut comprendre que l’autre personne se soit esquivée par peur du scandale.
    — S’il s’agissait d’un accident, la personne en question aurait sûrement essayé d’enlever la meule qui écrasait Constans et elle aurait appelé à l’aide. Constans serait tout de même mort dans d’atroces souffrances, mais il ne serait pas mort seul.
     
    Un bruit attira soudain notre attention. Trop tard. Marmarides avait introduit Helena Justina et Claudia. Et l’expression de cette dernière indiquait clairement qu’elle avait entendu nos dernières paroles.
    Marius Optatus se dirigea vivement vers elle. Il plaça les deux mains sur ses épaules et lui déposa un baiser sur le front. Ce fut spontané et très rapide. Il la relâcha presque immédiatement. La jeune fille n’éclata pas en sanglots comme quand Quadratus lui avait posé le bras sur les épaules ; elle lui adressa au contraire l’ombre d’un sourire.
    Le fermier lui résuma sa pensée en quelques mots :
    — Ton frère ne pouvait pas entreprendre cet énorme travail tout seul. Quelqu’un est venu l’aider, c’est évident. Seulement nous ignorons qui.
    — Quelqu’un qui l’a tué ! déclara Claudia d’une voix ferme.
    Je me sentis obligé d’intervenir :
    — Pour l’instant, Claudia, on ne peut pas rejeter l’hypothèse de l’accident. Toutefois, ce qui est certain, c’est que la personne qui se trouvait avec Constans l’a vu très gravement blessé et l’a abandonné à son triste sort.
    — Ça signifie qu’on aurait peut-être pu le sauver ?
    Les pensées se bousculaient dans sa tête et elle devenait très agitée.
    — Non, affirmai-je. Tu ne dois pas te torturer avec cette pensée. Ses blessures étaient bien trop graves pour qu’il puisse y survivre.
    Marius posa la main sur son bras en hochant la tête, comme pour la persuader de me croire. Cette fois-ci, Claudia se mit à pleurer. Mais au lieu de la consoler lui-même, il regarda Helena Justina d’un air embarrassé. Comme soupirant, il manquait des instincts nécessaires.
    Ma compagne serra la pauvre sœur de Constans contre elle et l’embrassa. Puis elle me demanda :
    — À ton avis, Marcus, qui est cet ami qui l’a abandonné ?
    — Moi, j’ai un nom à vous proposer ! aboya Optatus.
    — Oui ! Il est facile de deviner lequel. Toutefois, il a un alibi inattaquable. Ce triste mirliflore était incapable de se tenir à cheval. Et même si on imagine que Constans aurait pu venir le chercher en voiture, comment serait-il rentré à la ferme après l’accident ?
    Optatus ne trouva aucun argument à m’opposer, ce qui ne faisait qu’augmenter sa fureur.
    — Appelle ça un meurtre, pas un accident ! s’exclama Claudia en se dégageant des bras d’Helena.
    — Pour l’instant, il ne saurait en être question, Claudia, dis-je doucement. Pas avant d’avoir trouvé des preuves ou obligé quelqu’un à avouer. Mais je te donne ma parole que je vais faire tout mon possible pour découvrir la vérité. Et s’il s’agit bien d’un meurtre, je veillerai à ce que le coupable réponde de son forfait.
    La jeune fille fit un effort visible pour contrôler