Crépuscule à Cordoue
idiots, l’État n’hésiterait pas à mettre la main sur cette industrie.
— Comme avec le blé ! Je pense que non seulement tu es un homme honnête, Licinius, mais que tu agis avec intelligence et perspicacité.
Il venait de se produire un étonnant renversement de situation. C’était maintenant le vieil homme qui attendait quelque chose de moi. Il s’était arrêté dans le couloir. Il me paraissait beaucoup plus frêle que le jour où je l’avais rencontré pour la première fois. J’espérais pour lui que c’était un état passager dû aux pénibles moments qu’il était en train de vivre.
— Quand je me trouvais à Rome, Falco, on nous a justement raconté que quelqu’un, au palais, agissait pour que l’État prenne le contrôle du commerce de l’huile d’olive. Et il nous a été suggéré de nous regrouper pour résister à cette menace. Une position qui me paraissait ressembler fort à l’établissement d’un cartel.
— On vous a proposé de verser un pot-de-vin ?
Il ne répondit pas franchement à ma question :
— Ç’aurait été une solution raisonnable et efficace, tu crois ?
— Tu veux dire : est-ce qu’il aurait accepté ? Ça dépend de ce qu’il avait en tête. S’il s’agit de la personne à laquelle je pense, tout est possible. Il possède un pouvoir certain et un cerveau qui ressemble à un labyrinthe crétois. On vous a révélé son identité ?
— Non. Toi, tu le connais, Falco ?
— Je crois que j’ai deviné son nom, oui.
Je pensais naturellement à Claudius Læta. Je l’entendais encore me parler d’ or liqu ide, quand nous avions abordé le problème de huile d’olive.
Rufius ne me quittait pas des yeux :
— Si les rumeurs de prise de contrôle par l’État se trouvent vérifiées…
— Pour autant que je sache, ce n’est pas à l’ordre du jour, déclarai-je.
J’ignorais ce que Læta avait exactement à l’esprit, mais je commençais à entrevoir la façon dont j’allais décrire la situation en Bétique lors de mon retour à Rome. Ce n’était pas forcément au chef secrétaire que je ferais mon premier rapport. Après tout, en rentrant d’autres missions, j’avais parfois été reçu par l’empereur lui-même.
— Licinius Rufius, il n’est pas en mon pouvoir de promettre quoi que ce soit. Mais je considère les producteurs d’huile d’olive de Bétique comme un groupe d’hommes responsables qu’on devrait laisser gérer une industrie qu’ils connaissent parfaitement. (C’était une suggestion qui ne coûterait rien au trésor public, ce que Vespasien apprécierait, j’en étais persuadé.) Il y a bien longtemps que l’Hispanie est devenue romaine ! Et il serait peut-être temps de considérer ces provinces avec davantage d’attention.
— Que veux-tu dire, Falco ?
— Je pense à plusieurs propositions qui pourraient obtenir l’approbation de l’empereur. Accorder plus facilement la citoyenneté romaine, améliorer les statuts des villes romanisées, encourager les Hispaniques qui souhaitent être élus au Sénat ou faire partie de l’ordre équestre à Rome…
— Tu crois vraiment qu’il considérerait ces propositions ?
— Tout ce que je peux t’affirmer, répondis-je, c’est qu’à la différence de ses prédécesseurs, Vespasien écoute les avis qu’on lui donne.
Et il connaissait l’intérêt d’offrir des cadeaux aussi peu coûteux qu’efficaces.
— Tu es très proche de lui, à ce que j’ai cru comprendre ?
— Pas vraiment aussi proche que je le souhaiterais pour mon bien ! raillai-je.
Mais j’étais toujours aussi déterminé à arracher le secret du petit-fils de Licinius Rufius, si je le pouvais.
— Est-ce que je peux te reposer la question au sujet de ta visite au proconsul en compagnie de ton petit-fils ?
Licinius Rufius soupira. Il resta un moment silencieux, respirant profondément et lentement. J’étais décidé à lui laisser prendre tout son temps.
— Après la fête donnée par les fils d’Annæus Maximus, j’ai eu une longue discussion avec Constans.
— Tu étais furieux qu’il soit allé là-bas sans t’en parler !
— Au début, oui. Mais c’est vite devenu secondaire. J’ai deviné qu’il s’était fourré dans de sérieux ennuis. Il avait peur de quelque chose. Il m’a alors parlé d’une danseuse qui se produisait à la fête et qui posait beaucoup de questions. J’étais un peu perdu…
— C’est qu’il y a
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