Crépuscule à Cordoue

presser une main sur son dos malade.
    — Falco, s’empressa-t-il de dire, tu m’as tout l’air de croire que j’ai quelque chose à me reprocher. Je serais heureux de répondre à tes questions pour clarifier la situation.
    — Je n’ai rien à te demander, questeur.
    — Tu utilises toujours mon titre comme s’il s’agissait d’une insulte… Je tiens à écarter tes soupçons !
    — Personne ne te soupçonne.
    — De toute évidence, c’est faux, dit-il d’un ton tellement peiné qu’un tribunal l’eût relaxé sur-le-champ – les jurys apprécient les accusés qui se donnent la peine de jouer une grande scène pour la galerie. Tout ça est tellement injuste, Falco. Depuis que j’ai posé le pied en Bétique, j’ai l’impression qu’on veut censurer mon moindre mouvement. Jusqu’au proconsul, qui paraît peu enclin à travailler avec moi. Il doit probablement penser que ma nomination n’a rien à voir avec mes mérites, qu’elle s’est faite uniquement sur recommandation. Ce n’est tout de même pas un crime si ma famille a établi de nombreux liens avec cette province. Je possède toutes les qualités requises pour occuper cette questure !
    — Je te crois, déclarai-je avec sincérité.
    Tellement d’idiots n’ayant aucun sens de l’éthique sont élus au Sénat, qu’il arrive un moment où il faut bien choisir parmi eux pour pourvoir quelques postes importants.
    — Mais montre-toi indulgent, le taquinai-je. Il peut arriver qu’un gouverneur de province excentrique critique son questeur parce qu’il a lu l’ Académie de Platon, alors qu’il ne sait même pas de quel côté il faut poser un boulier sur son bureau pour l’utiliser.
    La patience de Quadratus s’émoussait à vue d’œil. Il ne tarda pas à devenir cassant :
    — Il y a des gens très compétents pour compter, Falco !
    Exact, pourtant c’était tout de même ennuyeux, quand l’homme censé prendre des décisions d’après les résultats de ces calculs ignorait ce que les chiffres signifiaient, et était incapable de comprendre si son personnel les avait truqués ou non.
    — Je n’ai rien à me reprocher, insista-t-il en changeant de ton.
    — C’est ce que disent tous les criminels, dis-je en feignant de plaisanter. Ça complique la tâche des véritables innocents accusés à tort. Tous les bons arguments sont déjà usés jusqu’à la corde.
    — Et qu’est-ce que je deviens dans tout ça ? s’inquiéta-t-il.
    — Toi, tu devrais faire ton travail, suggérai-je.
    Si les doutes que j’éprouvais au sujet de Læta étaient fondés, quand il aurait réussi à occuper le poste d’Anacrites, il ne se soucierait plus des prévarications des Quinctii. Alors, autant pousser celui-ci à se créer des ennuis au bureau.
    — Pourquoi ne pas prouver au proconsul qu’il se trompe ? Tu as été nommé questeur de Bétique. Dis-lui que la chasse ne t’intéresse plus et mets-toi au travail. Soit il l’accepte de bonne grâce, soit tu rentres à Rome afin de défendre tes prérogatives devant qui de droit.
    Il me regarda comme si je venais de lui révéler les secrets de la vie éternelle. Il se mit positivement à rayonner.
    — Par Jupiter, c’est bien ce que je compte faire ! s’écria-t-il. Tu as tout à fait raison, Falco !
    Sa transformation subite avait de quoi surprendre. Il n’arborait plus l’expression torturée d’un homme condamné à tort. Il était tellement habitué à obtenir tout ce qu’il voulait grâce à l’influence de sa famille que toute sa confiance en soi s’en trouvait soudainement restaurée. Il était soudain persuadé de pouvoir obliger le gouverneur à en passer par où il voudrait. Leur prochaine confrontation risquait cependant d’être plus piquante que Quadratus semblait le penser.
    — Donc, ajouta-t-il en souriant, tu renonces à me traquer, Falco ?
    Je répondis par un sourire. En effet, mieux valait le lui laisser croire.
    — Questeur, je mets mon attelage à ta disposition pour te permettre de regagner le domaine de ton père.
    — Bien sûr. Vous devez commencer à en avoir par-dessus la tête de ma présence. Je dois avouer que j’ai été magnifiquement traité.
    — Je ne pouvais pas faire moins, glissa Helena Justina d’une voix suave.
    — Mais je ne peux pas vous priver de votre cabriolet.
    — Tu n’es pourtant pas en état de regrimper sur Caracoleur, que je sache…
    — Ce démon ? Certainement pas ! D’ailleurs j’ai