Crépuscule à Cordoue
fronçait les sourcils :
— Je t’assure que j’ai déjà essayé, Falco, et je ne peux même pas identifier un seul de ses agents. C’était un homme très secret. Et sa façon de tenir des archives s’avère pour le moins fantaisiste. Les seuls noms qui sont inscrits officiellement sur ses registres sont ceux d’employés subalternes.
Je ne pus retenir un méchant petit rire :
— Il n’y a que des médiocres qui acceptaient de travailler pour lui !
— Tu veux dire qu’il refusait d’engager des gens valables ?
J’eus soudain, inexplicablement, envie de voler au secours de ce maudit espion :
— Non ! éructai-je. On ne lui a jamais donné les fonds nécessaires pour qu’il puisse engager des agents dignes de ce nom !
Par voie de conséquence, la question de savoir comment il avait pu s’offrir une villa à Baies restait posée. Ce détail parut échapper à Læta. Je me forçai à me calmer avant d’ajouter :
— Écoute, rien de plus normal qu’il ait été secret, c’est le métier qui veut ça. Par Jupiter ! On parle de lui comme s’il était déjà mort ! Ce n’est heureusement pas le cas.
— Non, heureusement, renchérit Læta sans enthousiasme excessif.
En dépit de l’expression impassible qu’ils arboraient, les porteurs ne perdaient pas un mot de notre conversation.
— Titus César a demandé que tout le possible soit fait pour que l’affaire ne s’ébruite pas, enchaîna le chef secrétaire.
Ce brave Titus ! Champion toutes catégories pour étouffer les affaires. Plusieurs fois avec mon aide, d’ailleurs.
Je regardai Læta droit dans les yeux :
— Il pourrait y avoir un rapport avec le souper d’hier.
— C’est ce que j’ai pensé, moi aussi, admit-il avec une visible répugnance.
— J’aimerais enfin savoir pourquoi tu m’avais invité. J’ai eu l’impression que tu souhaitais me parler de quelque chose.
Il pinça les lèvres sans répondre.
— Pourquoi as-tu tenu à me présenter ce sénateur ? insistai-je.
— Parce que Quinctius Attractus commence à dépasser les bornes.
— Crois-tu qu’Anacrites enquêtait sur lui ?
— Quelle raison aurait-il pu avoir ?
Bizarrement, Læta refusait de considérer que le chef espion avait nourri les mêmes réflexions que lui sur Attractus.
— Les espions n’ont pas besoin de raisons légitimes pour entreprendre une action. Voilà pourquoi ils sont si redoutables.
— Eh bien, Falco, quelqu’un s’est débrouillé pour que celui-ci ne soit plus redoutable du tout.
Irrité par cette remarque, je déclarai d’une voix acerbe :
— Je devrais peut-être te demander quel genre de rapports tu entretenais avec lui ?
Comme je savais ne pas pouvoir compter sur une réponse sincère, je ramenai toute mon attention sur Anacrites. Peut-être aurait-il été plus judicieux de laisser le blessé chez Calisthenus, en dédommageant l’architecte pour les soins qu’il lui ferait donner, et en exigeant son silence. Toutefois, si quelqu’un de dangereux souhaitait l’achever, il courrait moins de dangers sur le Palatin. Je l’espérais du moins. Sans en être certain. Le chef espion pouvait fort bien être la victime d’un complot ourdi dans l’enceinte du palais. Je l’envoyais chez lui pour qu’on le soigne ; j’espérais sincèrement que je ne l’envoyais pas chez lui pour qu’on l’achève.
Je me sentis soudain envahi par un sentiment de méfiance : je devinais toujours quand on me prenait pour un pigeon. Læta détestait Anacrites. Personnellement, je ne me fiais pas davantage à l’un qu’à l’autre. Mais Anacrites était sur la mauvaise pente. Je ne l’avais jamais aimé – ni lui ni ce qu’il représentait –, mais je savais comment il travaillait : enfoncé jusqu’au cou dans le même tas de fumier que moi.
— Læta, poursuivis-je, Titus a raison. Il faut garder le secret le plus absolu jusqu’à ce qu’on puisse tirer cette affaire au clair. Et tu sais à quelle vitesse les nouvelles se propagent à l’intérieur du palais. La meilleure solution, c’est d’emmener Anacrites dans un endroit où il pourra mourir en paix, si tel est son destin. Il sera temps alors de l’annoncer dans la Gazette. Laisse-moi m’en occuper. Je vais le conduire dans le temple d’Esculape, sur l’île Tibérine. Je leur ferai jurer le secret et je leur demanderai de te tenir personnellement au courant de l’évolution de son état.
Læta réfléchit
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