Crucifère
n’avait-elle pas entendu, à la faveur de la nuit, vanter son savoir, sa sagesse ? On prétendait que Coloman l’avait tuée. Pour quelle raison ? Mystère.
Apparemment, Coloman était venu ici pour consulter cet ouvrage – ou les notes que Shyam y avait consignées.
Rédigées dans une langue que Cassiopée ne connaissait pas, elles étaient indéchiffrables. Mais quelqu’un, quelque part, saurait forcément les lui lire. Elle fourra livre et notes dans le sac à dos étanche que Kunar Sell lui avait fabriqué, et continua sa route.
L’escalier métallique remontait en tournant sur lui-même vers une pièce circulaire, dans laquelle s’ouvraient de petites fenêtres rondes. « Curieux décor », se dit Cassiopée. « On le croirait venu d’un autre temps, d’un autre monde… » Tendant l’oreille afin de s’assurer que personne ne se trouvait à proximité, elle s’approcha à pas feutrés d’une petite porte et l’ouvrit doucement. Personne… Elle vit alors un long couloir, et reconnut l’intérieur du phare de Coloman. « D’après Kunar Sell, l’endroit que je cherche n’est pas loin… »
Quelques pas à l’intérieur du corridor lui permirent d’admirer divers dessins et esquisses accrochés à ses murs – d’armures et de navires, dont l’un évoquait l’Arche de Noé. Des odeurs cuivrées se mirent à flotter autour d’elle tandis qu’elle gagnait la sortie du phare, pour se diriger vers un escalier en plein air. Celui-ci descendait vers un jardin qui s’étageait jusqu’au Bosphore. L’air embaumait l’acacia. La nuit était chaude, calme, envahissante. Cassiopée s’y coulait comme dans un ample vêtement de soie, rassurée par la présence de son faucon, tout là-haut dans le ciel – étoile au milieu des étoiles.
Le vol de l’oiselle lui donnait toutes sortes d’informations. Présence ou non de danger ; direction à suivre… Le risque, c’est qu’elle pouvait la faire repérer. Coloman la connaissait – et, s’il la voyait, il la reconnaîtrait certainement.
Tout au fond du jardin, Cassiopée aperçut un antique passage dissimulé par des fourrés. Sans les informations de Kunar Sell, elle ne l’aurait jamais remarqué. À vrai dire, c’était plus une embrasure qu’un passage ; une faille ouverte sur un autre monde – le palais, tel qu’il existait à l’époque de Constantin. Soudain, un bruit dans l’obscurité la fit se figer. Se tassant sur elle-même, tâchant de se faire brindille, elle observa. Là, dans le jardin, une forme impossible avançait d’un pas lent. Qu’est-ce que c’était ? Un dragon.
Mais un dragon de petite taille, monté par un soldat en armure hérissée de piquants et muni d’une lance. « Un draconocte ! » D’après Kunar Sell – qui savait de quoi il parlait – ils étaient plus redoutables que les gardes du corps de l’empereur. C’est alors que, dans le ciel, son faucon poussa un cri. Il n’était pas question de se battre, mais au contraire de faire preuve de discrétion. Nul ne devait savoir qu’elle était venue dérober…
« Une armure. Dans la partie antique du palais. »
Focalisant toute son attention sur son but, Cassiopée oublia le draconocte et son dragonnet, et se faufila discrètement dans le passage qui lui faisait face. Progressant parmi les ruines d’un couloir à demi éboulé, elle se rappela avoir lu – dans le Traité d’armurerie de Mardi al-Tarsussi – la description d’une armure forgée par Héphaïstos pour la reine des Crevisses. Une armure dont les pièces s’articulaient à la manière des écailles de homard, et qui conférait à celui qui la revêtait la capacité de se mouvoir et de respirer sous l’eau. Cette armure, d’un rouge écarlate, avait ensuite été offerte à Alexandre le Grand pour lui permettre d’explorer l’Atlantide.
Cassiopée, que cette légende fascinait, se demandait de quelle couleur seraient les armures qu’elle trouverait.
Rouges. Elle n’en tira cependant pas la conclusion qu’il s’agissait de copies de l’armure de la reine des Crevisses, même si la ressemblance était troublante. En fait, de là où elle était – au bord du bassin au fond duquel s’alignaient deux douzaines d’armures –, Cassiopée se disait qu’elles auraient pu tout aussi bien avoir été fabriquées à partir d’écailles de dragons. Après tout, les Anciens ne les avaient-ils pas pourchassés pour cette raison même : s’en faire des
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