Crucifère
de Châtillon le privilège de le tuer.
Avalant sa salive, il déclara :
— Peu m’importe, je te crois. Où tu iras j’irai…
— C’est gentil, répondit-elle bien que cette phrase lui rappelle Simon.
Mais il n’y avait aucune comparaison possible entre les deux chevaliers. Alors que Simon s’était laissé envahir par le mal, Emmanuel avait su rester bon. C’était quelqu’un de lumineux, à qui l’on pouvait se fier… « Comme Taqi », songea-t-elle en pensant à son cousin, pour qui elle avait toujours éprouvé une infinie tendresse.
Emmanuel ne se lassait pas de contempler Cassiopée, dont la délicate silhouette se détachait dans la nuit. Elle commençait de gravir la pente avec souplesse, ne ménageant pas ses efforts sans paraître en souffrir. Jamais il ne l’entendait haleter ni reprendre son souffle. Jamais elle ne s’arrêtait pour se reposer un instant, les mains sur les genoux, buste penché en avant. Cette femme était-elle en acier ? Faite d’un métal aussi mystérieux et solide que l’épée qu’elle portait au flanc gauche ? Jamais il n’avait rencontré pareille détermination.
Après plusieurs heures de marche, ils atteignirent enfin le sommet d’une haute falaise. Dans le ciel, un cri d’oiseau leur confirma que c’était bien l’endroit qu’ils recherchaient. Celui où était apparu Taqi. Car si nul – hormis Cassiopée et peut-être Rufinus – n’avait vu le cavalier, l’oiselle, elle, savait que c’était là qu’il s’était tenu.
— C’est ici, dit Cassiopée.
Elle regarda autour d’elle, vit une bande de forêt s’avancer timidement jusqu’aux rochers où Emmanuel et elle se trouvaient. Emmanuel s’accroupit, passa la main sur les pierres recouvertes de lichen, prit un air déçu et annonça :
— Aucun cheval n’est venu là, je puis te l’assurer.
— Ce genre de cavalier ne laisse pas de traces, répondit placidement Cassiopée.
Elle se tourna vers l’horizon, où un orage se préparait. De gros nuages gris, au ventre chargé d’éclairs et parcouru de reflets bleus, s’amoncelaient au-dessus de la mer, comme une armée battant le rappel des troupes. Cassiopée sentit alors qu’on lui prenait la main, pour la serrer avec chaleur. Elle n’eut que le temps de croiser le regard d’Emmanuel. Ses paupières se fermèrent, sa bouche s’entrouvrit et une langue força sans peine le barrage de ses dents. Elle fut envahie d’une joie immense, des larmes lui brûlèrent les paupières, ruisselèrent sur ses joues.
— Cassiopée, dit-il entre deux baisers passionnés, je…
— Chut…
« Ce n’est pas le moment de parler. »
Elle passa les bras autour de la taille d’Emmanuel, l’attira contre elle, l’enlaça, l’étreignit. Le corps d’Emmanuel s’ajusta au sien, elle sentit son sexe sur sa cuisse, ses mains sur ses hanches, ses lèvres chercher sa gorge. Elle inspira profondément, respirant son odeur, mélange de sueur et de cuir.
— Je ne sais pas si je dois…, commença-t-il.
— Je n’y vois aucun inconvénient, répondit-elle en souriant, l’embrassant de plus belle.
Elle riait de bonheur, et bientôt le rire d’Emmanuel se joignit au sien, tandis que leurs regards se joignaient, osant enfin s’avouer ce qu’ils n’avaient jamais su se dire encore.
— Emmanuel, murmura Cassiopée entre deux rires.
Elle s’apprêtait à refermer les yeux pour un nouveau baiser, lorsque leur attention fut attirée par une lueur sur la mer. C’était le navire de leurs poursuivants. Il se tenait à plusieurs milles des côtes, mais semblait avoir mouillé l’ancre. Ils eurent beau l’observer depuis la falaise où ils s’étaient allongés, il ne bougea pas de tout le temps que l’orage emplissait l’horizon.
— Ils nous ont repérés, dit Emmanuel.
— Peut-être pas, dit Cassiopée. Mais ils savent que nous nous sommes déroutés.
Emmanuel se tourna vers elle, comme pour lui demander ce qu’il fallait faire.
Cassiopée recula vers la forêt, afin qu’on ne la voie pas depuis la nef des Templiers, et déclara :
— Allons prévenir les autres !
59.
« La Géhenne sera sûrement pour eux tous leurs rendez-vous. »
(Coran, XV, 43.)
Ils quittèrent la falaise sous un ciel couleur d’ecchymose, se hâtant de regagner le camp que leurs camarades avaient passé la matinée à fortifier. Des arbres avaient été abattus, et leurs troncs élagués, pour fournir un fortin aux marins.
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