Crucifère
sans foi ni loi, qui ne redoutent rien…
— Hélas, dit Cassiopée, je crains au contraire qu’ils n’aient que trop de foi et de lois, et que ce soit même ce qui les pousse à agir ainsi.
— À l’arrivée des soldats verts, poursuivit le marin, nous étions déjà hors de combat, et Kunar Sell s’était enfui.
— Enfui ?
— Oui. Abandonnant sa lourde hache derrière lui.
— Je n’aurais jamais cru ça de lui, murmura Cassiopée.
Le silence suivit ce sinistre constat, puis Cassiopée demanda encore :
— Et Rufinus ? Pourquoi n’est-il pas ici ? Avec nous ?
Le jeune marin se prit la tête entre les mains, et marmonna :
— Je l’ignore.
Mais le troisième marin, au corps couvert de plaies sanguinolentes et étendu contre la paroi de la fosse, se releva sur un coude et souffla :
— Il nous a trahis !
— Tais-toi, ordonna Cassiopée. Je connais Rufinus. Il est peut-être lâche, mais ce n’est pas un traître…
Au moment même où elle disait cela, elle se rappela ce qui s’était produit au Krak des Chevaliers, trois ans plus tôt, lorsqu’ils avaient été manipulés par les Assassins, Rufinus et elle. Contre leur volonté, ils avaient été contraints d’assassiner l’une des plus belles âmes qu’ait jamais portées la Terre sainte : le comte Raymond de Tripoli. Quel sortilège, quelle menace avaient pu amener Rufinus à trahir – si tel était le cas ? Qu’est-ce qui avait pu l’amener à basculer du côté de Simon, qui avait cherché à le tuer ? Qui ? Quoi ?
C’est alors qu’une échelle fut descendue jusqu’au fond de la fosse, dans un bruit de grelots, et qu’une voix grinça :
— Que Cassiopée monte, et seulement elle !
Ils levèrent les yeux et virent Billis, une torche à la main, regarder dans leur direction. Le serviteur du Chevalier Vert se passa une langue verdâtre sur ses lèvres épaisses, et ajouta :
— Et plus vite que ça !
61.
« Le nain qui était perfide et de très mauvaise nature se tenait en milieu du chemin. »
(CHRÉTIEN DE TROYES,
Érec et Énide.)
— Peux-tu m’expliquer à quoi servent ces armures ? demanda Simon à Cassiopée, en lui montrant les lourdes caisses où les armures des Crevisses avaient été soigneusement rangées.
Cassiopée se tenait, tête basse, sous la tente de Simon. Regardant furtivement de droite et de gauche, elle chercha une arme. Quelque chose dont elle aurait pu se saisir pour assommer ou tuer Simon. Mais à quoi bon ? Elle avait les mains liées dans le dos, et de l’autre côté de la tente deux soldats verts échangeaient des paroles à mi-voix.
— Non, répliqua Cassiopée sur un ton sans appel.
— Dommage. En fait, je connais déjà la réponse. Quelqu’un me l’a donnée.
— Qui ?
— Tu le sauras bien assez tôt… Je ne t’ai posé la question que pour te laisser une chance d’être gentille avec moi ; mais puisque tu ne me réponds pas, alors moi non plus je ne serai pas gentil avec toi.
— Tu parles comme un enfant.
— Un enfant qui a eu le courage, je te le rappelle, de t’accompagner aux Enfers pour y chercher ton père.
— Dommage que tu n’aies pas plutôt cherché, comme Emmanuel, à me conduire au Paradis.
Sa remarque attisa la colère de Simon, qui se contint pour ne pas la montrer et lâcha :
— Il ira pourtant bien en Enfer, crois-moi. Cassiopée, je t’en supplie – accorde-moi encore une chance de t’aider, en mémoire de ton père !
— Alors libère-nous ! Je veux aller dans les marais.
— C’est ce que nous allons faire, mais tous les deux. Rappelle-toi : « Où tu vas je vais. » Nous reprendrons notre voyage là où nous nous sommes arrêtés. Tu vas revêtir la plus petite de ces armures, et moi l’autre. J’ai vu qu’il y en avait une à ma taille. Probablement celle d’Emmanuel… En tout cas, ce n’est pas lui qui t’accompagnera dans ces marais, à la recherche de ta tante.
— Qui t’a parlé d’elle ?
— J’ai mes sources.
— Tu es fou.
— Pourquoi ? Parce que je t’aime et veux t’aider à sauver ton père ? Peut-être. Mais alors, ton Emmanuel aussi.
— Tu admets donc qu’il veut m’aider lui aussi ?
— Peu importe ce que j’admets. Je veux seulement t’aider !
— Bien sûr que non, ce n’est pas tout ce que tu veux ! Tu te soucies d’abord et avant tout de ta petite personne et de ton petit nom. Dans ta folie, tu as décidé de m’épouser.
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