Crucifère
ressaisit et déclara :
— Lâche ton arme. Ou Billis tue Rufinus, et je tue Emmanuel.
Il s’approcha alors de l’Hospitalier qui venait de le défigurer, et se demanda quel sort il allait lui réserver. Oh, comme il avait attendu cet instant ! Comme il l’avait espéré ! Et comme il l’avait payé cher… Mais le Chevalier Vert leva la main.
— Arrêtez ! s’écria le nain.
Une demi-douzaine d’arbalètes et de lances se pointèrent en direction de Cassiopée.
— Qu’espérez-vous ? Tuer Simon puis mourir ?
— Non, répondit Cassiopée. Seulement le ramener à la raison…
Elle fixa son regard sur Simon, et put lire dans ses yeux toute la rage, toute la folie qui le hantaient, tous les espoirs qu’il avait fondés sur son impossible amour avec elle.
— Tu étais mon ami, dit Cassiopée.
— Moi je t’aimais. Tu aurais pu rester libre d’aimer qui tu voulais.
— Alors sois content, car je suis libre et j’aime. Mais ce n’est pas toi.
— Je sais qui c’est, et je m’en vais lui…
Il s’apprêta à frapper Emmanuel, mais celui-ci roula dans le sable et récupéra son épée. Les lames s’entrechoquèrent, métal contre métal, crachant des étincelles.
— Arrête ! s’écria Billis. Ta maîtresse te l’ordonne !
Simon leva les yeux et vit le Chevalier Vert s’avancer vers lui, cape flottant au vent. D’un geste brusque, le Chevalier Vert lui asséna une gifle qui l’aurait assommé s’il avait été plus frêle. Mais Simon, bien que sonné, ne s’évanouit pas. Il serra les dents, et murmura :
— J’implore votre pardon…
— Et dire que tu parlais de liberté, murmura Cassiopée.
— Donne-lui ton arme, dit Emmanuel à Cassiopée.
Elle hésita. La main du Chevalier Vert se tendait à présent sous ses yeux, en quête d’une offrande dont bien des saints étaient indignes. Car cette épée était l’épée des rois de Jérusalem, auxquels il faudrait bien qu’elle revienne un jour. Mais, pour Cassiopée, c’était surtout la seule chose que lui avait donnée Morgennes. Tout ce qui lui restait de son père. Cela, et quelques rares et précieux souvenirs – comme le petit tableau de son grand-père et la draconite, que lui avait confiés sa mère. Cette pierre, elle le savait, était son seul moyen d’avoir des enfants. Si Emmanuel n’y voyait pas d’inconvénient…
Mais elle hésitait toujours. Où donc étaient la pierre et le tableau ? Dans sa besace. Où était Crucifère ? Dans sa main droite. Où donc était son intérêt ?
Croisant une nouvelle fois le regard d’Emmanuel, elle décida de s’en remettre au choix qu’il avait fait. Elle donna Crucifère au mystérieux Chevalier Vert et, comme morte s’effondra dans les bras d’Emmanuel. En même temps que l’épée, elle venait de perdre une seconde fois son père.
La nuit était tombée.
Emmanuel et Cassiopée, sans armes ni armures, croupissaient dans une fosse, en compagnie de trois marins.
— Où sont les autres ? demanda Cassiopée au plus âgé d’entre eux, un marin à la barbe fournie.
— Hélas, répondit-il, ils sont morts…
Cassiopée le regarda, une expression de terreur dans les yeux.
— Nous avons été pris par surprise, poursuivit le marin. L’orage semblait du côté de l’ennemi, si bien que je suis presque certain que ce n’était pas un orage naturel. Des éclairs se sont abattus sur nos défenses, faisant voler la palissade en éclats, tuant la plupart d’entre nous. Nous venions à peine de reculer dans la forêt, pour y panser nos plaies, que l’ennemi nous encercla. Où avait-il débarqué ? Probablement des deux côtés de la plage. Certains jaillirent même des arbres. Des fous furieux.
— Des soldats verts tombant des arbres ?
Un second marin, beau jeune homme aux cheveux bouclés, secoua la tête :
— Non, pas des soldats verts. Eux, ils marchaient vers nous, épée et bouclier au poing. Ceux qui se laissaient choir des arbres ressemblaient à des croisements de démons et de singes. C’étaient des fous, des hommes habillés de telle sorte qu’ils se confondaient avec la jungle. Ils poussaient des cris hideux et surgissaient de partout à la fois, la bave aux lèvres. Ils n’étaient point nombreux, peut-être à peine une demi-douzaine. Pourtant, ce furent eux qui firent le plus de victimes dans nos rangs.
— Des Assassins, commenta Emmanuel. J’ai déjà eu affaire à eux, autrefois. Ce sont des bêtes
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