Crucifère
avouer :
— Au fait, si vous cherchiez votre foulard, c’est moi qui vous l’ai pris.
— Mon foulard ? demanda Cassiopée, qui ne voyait pas à quoi le vieux marquis faisait allusion.
— Celui avec lequel vous avez dansé. Je vous l’ai volé, pour avoir un souvenir. Avant de m’en servir pour aider un ami à s’enfuir…
— Qui donc ? demanda Cassiopée, qui se souvenait fort bien d’avoir récupéré ce foulard sur Morgennes, avant de le perdre à nouveau pour le retrouver finalement noué autour du bras de Massada.
— Morgennes. Le connaissez-vous ?
Cassiopée hésita un instant, mais devant l’expression de remords et d’espoir qu’arborait le vieux Guillaume de Montferrat, elle murmura – en espérant que Saladin n’entendrait pas :
— C’était mon père.
— C’était ?
— Il est mort.
Guillaume de Montferrat inclina la tête, signalant qu’il avait compris, puis fit un autre pas vers la sortie de la tente. Où il se retourna encore une fois, pour dire à mi-voix :
— Vous faites mentir Chrétien de Troyes quand il écrivait : « Bien souvent, on ne peut pas connaître à l’héritier qui fut son père. » Je savais bien que vous me rappeliez quelqu’un. Maintenant je sais qui, et je suis heureux de savoir qu’un tel homme continue d’exister. À travers vous…
15.
« Amour est de détestable lignée ; il a tué sans glaive des milliers d’hommes.
Dieu n’a pas créé de plus terrible enchanteur – Écoutez ! – plus capable de faire un fou du sage qui est tenu dans ses lacs. »
(MARCABRU,
Invectives contre « Fausse Amour ».)
Grâce au sauf-conduit délivré par Saladin, Cassiopée et Simon purent traverser en toute tranquillité un vaste territoire tombé aux mains des musulmans. Leur intention était de gagner Jérusalem puisque c’était là que Morgennes était mort. Là qu’il était tombé dans le puits des Âmes, là que Taqi l’avait suivi jusqu’aux Enfers.
Cassiopée repensa à ce que Saladin venait de leur raconter au sujet de Taqi.
Quand elle fut certaine que personne ne les épiait, elle sortit de son sac de selle le petit tableau donné par le marquis de Montferrat. Taqi n’y était – évidemment – pas réapparu. « Taqi », murmura-t-elle. « Où es-tu ? Aux Enfers, avec mon père ? Ou quelque part autour de nous ? »
Promenant son regard sur les plaines désolées qu’elle et Simon traversaient, elle ne vit que des successions de champs ravagés par la guerre, ponctués ici et là de bâtisses et d’églises ruinées, brûlées.
Comme c’était encore l’hiver, ils ne croisèrent pas âme qui vive. Les paysans reviendraient au printemps, pour labourer les champs. Probablement les mêmes qu’à l’époque du roi Guy de Lusignan. Des paysans qui travailleraient la terre, comme l’avaient fait leurs parents avant eux, et acquitteraient plus ou moins les mêmes taxes qu’auparavant, mais au bénéfice d’un nouveau souverain, appelé Saladin.
Cassiopée rangea le petit tableau dans son sac de selle et en sortit le parchemin que sa mère lui avait fait parvenir peu après son retour de Terre sainte. Elle l’avait lu et relu tant de fois qu’elle le connaissait par cœur. « D’ailleurs, se demanda-t-elle, pourquoi le relire encore ? » Elle n’avait pas besoin de le dérouler pour revoir l’écriture de sa mère, et pour l’entendre lui dire :
« Ma chère et tendre Cassiopée,
« Je n’ai pas toujours été une bonne mère. Je le sais, et je te demande de me pardonner, si une telle chose est possible. Toutes ces années passées auprès de toi et de tes parrains, Gargano et Chrétien de Troyes, ont été les plus belles de ma vie. Te voir grandir a fait ma joie, et je n ’ oublierai jamais ton visage de petite fille, quand Gargano t’apprenait à parler à Galline. Est-elle toujours avec toi ? T’accompagne-t-elle toujours partout où tu vas, veillant sur toi depuis les cieux ? Je pense souvent à cette oiselle, dont l’œuf a éclos le jour même de notre rencontre avec Chrétien de Troyes.
« Notre cher Chrétien, qui se meurt à petit feu, de solitude, de vieillesse et de chagrin. J’ignore si tu es au fait de cette triste nouvelle. Si ce n’est pas le cas, pardonne la brutalité avec laquelle cette information te parvient et hâte-toi de revenir, si tu veux avoir une chance de l’embrasser avant qu’il ne rejoigne le Seigneur. Si c’est le cas, sache que je
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