Crucifère
Guillaume de Montferrat. Vous avez bien euh… changé.
— Hélaaas, dit Rufinus en baissant les yeux.
— Quant à moi, intervint Simon, je suis le nouveau comte de Roquefeuille.
Guillaume de Montferrat s’inclina vers Simon, l’interrogeant :
— L’emblème de votre famille n’est-il pas un ours en pied ?
— De gueules, semé de grains de sel d’argent, à l’ours de sable.
— Alors j’ai connu vos frères. Des garçons valeureux… L’un d’eux était un Templier, si je me rappelle bien ?
— Je l’étais moi aussi, dit Simon.
— Ah. Et vous ne l’êtes plus ?
— Je vous l’ai dit. Je suis le nouveau comte de Roquefeuille. Tous mes frères sont morts, et mon père aussi. Il faut quelqu’un pour s’occuper de nos domaines. J’ai donc quitté les ordres…
Enfin, Guillaume de Montferrat se tourna vers Cassiopée :
— N’était-ce pas vous qui aviez dansé, sous cette tente même, peu après la bataille de Hattin ?
— C’était moi, en effet.
— Sachez que depuis la perte de la Vraie Croix, seule votre danse a réussi à apaiser mes souffrances. Mon cœur n’a pas trouvé de plus joli souvenir auquel se raccrocher pour essayer de ne pas sombrer… Mais puis-je vous demander, puisque vous m’avez l’air d’être aussi franque que musulmane, par quel miracle vous vous êtes retrouvée sous cette tente, à danser pour Saladin ?
— Vous avez raison, j’ai des origines mêlées, dit Cassiopée sans préciser lesquelles. Et si j’ai dansé sous cette tente, c’est parce que j’avais fait un pari…
— Lequel ? s’enquit Saladin.
— J’avais parié avec Taqi que les Francs gagneraient.
— Vous avez perdu, hélas, dit Guillaume de Montferrat.
— Hélas pour vous, corrigea Saladin.
— Pour m’acquitter de mon pari, Taqi m’a demandé de distraire les prisonniers avec une danse.
— Et vous avez accompli un exploit, concéda Guillaume de Montferrat. Car, le temps d’une danse, j’ai oublié la perte de la Vraie Croix…
Sous la tente s’installa un certain malaise, que dissipa Saladin.
— Beau doux seigneur, dit-il à Guillaume, je ne puis rester insensible à votre noblesse et à la hardiesse de Conrad. Vous avez dû être un père exceptionnel pour avoir un tel fils. C’est pourquoi j’ai une offre à vous faire…
Comme Guillaume ne demandait pas laquelle, Saladin poursuivit :
— Je vous propose de fixer vous-même le montant de votre rançon.
— De le fixer moi-même ? Mais Diable, quel chiffre suis-je supposé donner ?
— Que valez-vous ?
— Pour mon fils ? Beaucoup, je suppose.
— Dites un chiffre.
— Je ne voudrais pas abuser…
— Faites-moi plaisir, dit Saladin en levant la main. Je vous fais confiance.
Guillaume de Montferrat ferma les yeux, et se recueillit un instant avant de déclarer :
— Deux cent mille besants d’or.
— Décidément ! s’exclama Simon.
Saladin et Guillaume de Montferrat le regardèrent sans comprendre, puis le sultan déclara :
— Ce me semble être une juste estimation. Fort bien, qu’on informe Conrad du montant de la rançon demandée par son père, dit-il en se tournant vers le cadi Ibn Abi Asroun.
— Merci, mon oncle, dit Cassiopée à Saladin. Qu’Allah vous garde. Vous êtes bien le Clément qu’acclament vos sujets.
— Ce que je fais, je le fais pour toi, déclara le sultan. Et dans le vain et orgueilleux espoir d’inspirer Allah. Car si je suis capable de faire une faveur à l’un de mes pires ennemis, peut-être le Très-Haut fera-t-il de même avec ce chevalier Morgennes, que tu tiens tant à sauver.
— Merci encore, très cher oncle, dit-elle en s’inclinant bien bas.
Elle ressentait néanmoins une pointe d’amertume à l’idée qu’il ne l’aiderait pas plus que cela à sauver son père. Enfin, les pourparlers qu’elle avait entrepris n’avaient pas totalement abouti, ni complètement échoué. Guillaume de Montferrat ne serait pas tué.
Saladin donna l’ordre d’envoyer le vieux Guillaume de Montferrat en prison à Damas, où il attendrait que sa rançon soit payée.
— Je ne pensais pas coûter un jour aussi cher à mon fils, soupira Guillaume en jetant un dernier regard à Cassiopée. En tout cas, ça m’a permis de vous revoir…
— Tout le plaisir était pour moi, dit Cassiopée.
Guillaume de Montferrat s’apprêtait à retrouver ses chaînes, lorsqu’il se tourna brusquement vers Cassiopée pour lui
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