D'Alembert
souvent cité le trait lancé au froid d'Alembert :
...Chancelier du Parnasse,
Qui se croit un grand homme et fit une préface.
On ne saurait plus mal dire. Les amis de d'Alembert le traitaient d'illustre, les envieux s'inclinaient devant lui. Sa gloire était certaine, il ne pouvait fermer les yeux à l'évidence, il était grand, jamais il ne fut fier.
Simple et sans prétentions, il comprenait tout et s'intéressait à tout.
Son rire étincelant bravait les lois du décorum ; prompt à saisir les ridicules, habile à les imiter, excellent mime, quelquefois bouffon, d'Alembert se plaisait à l'étonnement de ceux qui mesurent l'importance d'un personnage à la dignité de ses manières.
Diderot, dont l'influence fit partager à d'Alembert la tâche immense de l'Encyclopédie, avait avec lui, malgré la grande différence de caractère et de talent, un fonds d'idées communes qui les rapprochaient et pouvaient maintenir leur amitié. Libres tous deux de toute ambition, avec la même ardeur pour l'étude et pour les travaux de l'esprit, ils étaient également curieux de science, d'art, de littérature, de philosophie, en enveloppant dans un même scepticisme toutes les questions qui, de près ou de loin, appartiennent à la théologie.
L'exemple de leur vie et de leur noble caractère peut servir d'argument sans réplique à qui voudra convaincre les esprits les plus prévenus que la bonté, le dévouement, le désintéressement et la vertu ne sont l'apanage d'aucune secte, le privilège d'aucune croyance.
L'Encyclopédie fut d'abord une entreprise de librairie.
Les polémiques religieuses n'inspiraient à d'Alembert qu'éloignement et dédain.
Satisfait de penser librement, il ne demandait aux autres que la tolérance, mais il la voulait pour lui-même et pour tous. C'était une déclaration de guerre.
L'Encyclopédie anglaise de Chambers, à Londres, enrichissait les éditeurs. Le premier projet était de la traduire. Diderot avait fait ses preuves. Il ne traduisait pas, il transformait. En prêtant à un auteur obscur l'éclat de son propre style et la hardiesse de ses pensées, il ne trahissait que lui-même ; sa plume infidèle ne pouvait rien écrire de médiocre.
La tâche, même restreinte au programme primitif, était immense. En s'associant d'Alembert d'abord, puis une petite armée, dont il devint l'âme, Diderot ne prévoyait pas la campagne retentissante qu'il devait diriger. D'Alembert, soucieux de son repos, aurait refusé de s'y associer.
Le prospectus de l'Encyclopédie lui donnait pour titre :
Encyclopédie
ou
Dictionnaire raisonné des sciences, des arts
et des métiers.
L'ordre alphabétique était adopté.
On comprend mal la convenance d'associer le tableau des idées et du savoir humain à une série d'articles se succédant sans ordre ni méthode.
Les éditeurs pensaient autrement, et le discours préliminaire, en assignant dans chaque science la place de chaque question, et à chaque science sa place dans le développement de l'esprit humain, devait corriger, en instruisant le lecteur, le défaut de méthode accepté pour la commodité des recherches.
Un chef-d'oeuvre d'ailleurs est toujours bienvenu. Diderot en attendait un de d'Alembert. Uniquement soucieux de l'intérêt de l'oeuvre, au-dessus, par son caractère, de la vanité et même de l'orgueil, il lui importait surtout de préparer un succès à son ami.
Le discours préliminaire servant de préface à l'Encyclopédie contient, dit d'Alembert, la quintessence des connaissances mathématiques, philosophiques et littéraires acquises par vingt années d'études. Il fait ainsi remonter ses méditations au jour de son entrée au collège des Quatre-Nations.
Le discours contient deux parties distinctes : l'exposition détaillée de l'ordre dans lequel sont nées les diverses branches du savoir humain, et le tableau historique du progrès depuis la Renaissance jusqu'à nos jours. Le premier problème est insoluble. Nous ne savons les origines en aucun genre. Il faut donc deviner. On est certain de proposer des vérités douteuses, certain aussi de n'être pas convaincu d'erreur.
Toutes nos connaissances viennent par les sens, tel est le point de départ de d'Alembert. La précision n'est qu'apparente, l'assertion est vague. Veut-on dire qu'un aveugle, sourd et muet de naissance, dépourvu des organes du toucher, nourri par une sonde, n'acquerrait,
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