D'Alembert
est la marche de l'esprit dans ses recherches, qu'après avoir généralisé les perceptions, il revient sur ses pas, recompose de nouveau les perceptions mêmes, et en forme peu à peu et par gradation des êtres réels qui sont l'objet immédiat et direct de nos sensations. La physique mathématique, l'astronomie et, quand le raisonnement se trouve impuissant à tout enchaîner, la physique expérimentale, sont nées de ce mouvement rétrograde fait par l'esprit.
Entre les limites très éloignées de nos «connaissances certaines, dont l'une est l'idée de nous-même et l'autre cette partie des mathématiques qui a pour objet les propriétés générales des corps, se trouve un intervalle immense ou l'intelligence suprême semble avoir voulu se jouer de la curiosité humaine, tant par les nuages qu'elle y a répandus sans nombre que par quelques traits de lumière qui semblent échapper de distance en distance pour nous attirer.
«La nature de l'homme, dont l'étude est si nécessaire, est un mystère impénétrable à l'homme même quand il n'est éclairé que par la raison seule.
«Rien ne nous est donc plus nécessaire qu'une religion révélée qui nous instruise sur tant de divers objets.
Destinée à servir de supplément à la connaissance naturelle, elle nous montre une partie de ce qui était caché, mais elle se borne à ce qu'il nous est absolument nécessaire de connaître. Le reste est fermé pour nous et apparemment le sera toujours.
Quelques vérités à croire, un petit nombre de préceptes à pratiquer, voilà à quoi la religion révélée se réduit : néanmoins, à la faveur des lumières qu'elle a communiquées au monde, le peuple même est plus ferme et plus décidé sur un grand nombre de questions intéressantes que ne l'ont été toutes les sectes de philosophes.»
Les lecteurs de l'Encyclopédie étaient prévenus. Ces lignes marquent aussi franchement qu'on pouvait le faire sans imprudence tout le programme théologique ; pour un pas de plus dans cette voie la porte se serait fermée.
Quelquefois cependant, mais avec moins de légèreté, d'Alembert imite le tour habituel de Voltaire. «D'ailleurs, dit-il plus loin, quelque absurde qu'une religion puisse être (reproche que l'impiété seule peut faire à la nôtre), ce ne sont jamais les philosophes qui la détruisent.
Lors même qu'ils enseignent la vérité, ils se contentent de la montrer sans forcer personne à la connaître.»
L'avantage que les hommes ont trouvé à étendre la sphère de leurs idées soit par leurs propres efforts, soit par le secours de leurs semblables, leur a fait penser qu'il serait utile de réduire en art la manière même d'acquérir des connaissances et celle de se communiquer réciproquement leurs pensées. Cet art a donc été trouvé et nommé logique. La science de la communication des idées ne se borne pas à mettre de l'ordre dans les idées mêmes ; elle doit apprendre encore à exprimer chaque idée de la manière la plus nette.
La science du langage est devenue nécessaire, et comme les hommes en se communiquant leurs idées cherchent aussi à se communiquer leurs passions, l'éloquence est une arme nécessaire. Faite pour parler au sentiment comme la logique et la grammaire parlent à l'esprit, elle impose silence à la raison même, mais les règles ici ne peuvent suppléer au talent, et le génie ne peut se réduire en préceptes.
Il ne nous suffit pas de vivre avec nos contemporains et de les dominer pour embrasser le passé et l'avenir. De là, l'origine de l'histoire.
Les branches principales se divisent en une infinité d'autres, dont l'énumération serait immense et appartient plus à l'Encyclopédie qu'à la préface.
Les beaux-arts jusqu'ici n'ont pas été mentionnés. Est-il nécessaire de les définir et d'en chercher l'origine ?
D'Alembert s'est donné la tâche de tout enchaîner logiquement.
«Il est, dit-il, une autre espèce de connaissances réfléchies dont nous devons maintenant parler. Elles consistent dans les idées que nous nous formons à nous-mêmes, en imaginant et composant des êtres semblables à ceux qui sont l'objet de nos idées directes. C'est ce qu'on nomme l'imitation de la nature, si connue et si recommandée par les anciens.»
Comme les idées directes qui nous frappent le plus vivement sont celles dont nous conservons plus vivement le souvenir, ce sont aussi celles que nous cherchons le plus à réveiller en nous par l'imitation de leurs objets. Si
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