Dans le jardin de la bête
son journal : « Herr Hitler semblait éprouver une véritable sympathie 2 pour M. Eden, qui a manifestement réussi à faire ressortir chez cet être étrange des qualités humaines qui, pour moi, étaient restées jusque-là obstinément dormantes. » Dans une lettre à Thornton Wilder, Martha écrivit : « Hitler s’améliore indéniablement 3 . »
Ce sentiment d’une normalisation imminente se révélait également dans d’autres sphères. Le nombre officiel des chômeurs 4 était en rapide déclin, passant de 4,8 millions en 1933 à 2,7 millions en 1934, même si cela était en bonne partie dû à des mesures consistant à attribuer à deux personnes l’emploi d’une seule, et à une propagande appuyée destinée à décourager les femmes de rechercher un emploi. Les camps de concentration « improvisés » avaient été fermés, grâce en partie au chef de la Gestapo, Rudolf Diels. Au ministère de l’Intérieur 5 , on évoquait la possibilité de supprimer complètement la détention provisoire et les camps de concentration.
Même Dachau semblait être devenu civilisé. Le 12 février 1934, un représentant des Quakers, Gilbert L. MacMaster, put inspecter le camp, ayant obtenu l’autorisation de rendre visite à un interné, George Simon, un ancien député du Reichstag de soixante-deux ans qui avait été arrêté parce qu’il était socialiste. MacMaster prit un train à Munich et, une demi-heure plus tard, descendit au bourg de Dachau, qu’il décrivit comme un « village d’artistes ». De là, il marcha pendant une autre demi-heure pour arriver au camp.
Il fut surpris par ce qu’il découvrit. « Les rapports sur des atrocités 6 proviennent de ce camp, plus que de tout autre en Allemagne, écrit-il. Cependant, son aspect extérieur est plus favorable que tout autre camp que j’ai visité. » L’ancienne usine de munitions dans laquelle le camp était installé datait de la précédente guerre mondiale. « Il y a des bâtisses correctes pour les chimistes et les officiers ; les baraques des ouvriers sont plus stables, et toute l’usine est chauffée à la vapeur, nota MacMaster. De ce fait, Dachau semble mieux équipé pour le confort des prisonniers, surtout en saison froide, qu’un camp provisoire installé dans une ancienne usine ou une ferme. En fait, l’aspect de l’ensemble évoque davantage celui d’une institution permanente que d’un camp. »
L’interné, Simon, fut bientôt conduit au poste de garde pour rencontrer MacMaster. Il portait un uniforme gris de prisonnier et semblait en bonne santé. « Il n’exprimait pas de grief particulier, poursuit MacMaster, sauf qu’il souffrait énormément d’un rhumatisme aigu. »
Plus tard dans la journée, MacMaster s’entretint avec un responsable de police qui lui dit que le camp hébergeait deux mille prisonniers. Seulement vingt-cinq étaient juifs ; ceux-ci, souligna le responsable, étaient détenus pour des délits politiques, non en raison de leur religion. Cependant, MacMaster avait eu connaissance de rapports indiquant qu’au moins cinq mille prisonniers étaient incarcérés et que quarante ou cinquante étaient juifs, parmi lesquels seulement « un ou deux » avaient été arrêtés pour des motifs politiques ; les autres avaient été arrêtés à la suite de dénonciations par des gens « qui voulaient leur nuire dans leur commerce et d’autres parce qu’ils étaient accusés de fréquenter des jeunes filles non juives ». Il fut surpris d’entendre le responsable lui répondre qu’il considérait les camps « comme temporaires et se réjouirait le jour où on pourrait s’en passer ».
MacMaster trouva que Dachau avait même une certaine beauté. « La matinée était très froide, raconte-t-il. Il y avait eu un brouillard tellement dense la nuit précédente que j’avais eu du mal à trouver mon hôtel. Au matin, le ciel était limpide, les couleurs de la Bavière étaient au blanc des nuages et au bleu du ciel, et le brouillard de la nuit précédente recouvrait les arbres d’une épaisse couche de givre. » Tout était décoré d’une dentelle scintillante de cristaux de glace qui donnait au camp un air éthéré, comme dans une fable. Au soleil, les bouleaux de la lande environnante devenaient des flèches de diamant.
Mais comme c’était souvent le cas dans l’Allemagne nouvelle, l’aspect extérieur de Dachau était
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