Dans le jardin de la bête
de boire le café 17 quand brusquement la famille Dodd au complet – l’ambassadeur, Mme Dodd, Martha et le jeune M. Dodd – a débarqué comme une avalanche de neige juste pour nous souhaiter un joyeux Noël. C’était fort gentil de leur part, n’est-ce pas ? J’apprécie M. Dodd davantage à mesure que je travaille avec lui ; c’est un homme de grande culture et qui est doté d’un des esprits les plus fins qu’il m’ait été donné de rencontrer. » Lochner décrit Mme Dodd comme « une femme charmante, féminine qui… comme son mari, préfère rendre visite à une famille amie plutôt que subir tout le bazar diplomatique artificiel. Les Dodd ne se prennent pas pour des célébrités, et je respecte cela chez eux ».
Dodd admira pendant quelques instants le sapin des Lochner et les autres décorations, puis il prit Lochner à part et lui demanda les dernières nouvelles sur l’affaire Dimitrov.
Jusque-là, Dimitrov semblait avoir échappé au pire, expliqua Lochner. Il signala aussi que sa source qui occupait des fonctions élevées – et dont il ne voulait toujours pas révéler l’identité – l’avait remercié pour avoir réglé l’affaire avec autant de doigté.
Dodd craignait toutefois d’autres répercussions. Il restait convaincu que Diels avait joué un rôle crucial dans la révélation du complot. Diels continuait de le surprendre. Il connaissait sa réputation de cynique et d’opportuniste de premier ordre mais, de temps à autre, il trouvait en lui quelqu’un d’intègre et digne de respect. Ainsi, au début du mois, Diels avait persuadé Göring et Hitler de décréter une amnistie de Noël pour les internés des camps de concentration qui n’étaient pas des criminels endurcis ou manifestement dangereux pour la sécurité de l’État. On ne connaît pas les motifs précis de Diels 18 , mais il considéra cette époque, où il se rendait de camp en camp pour sélectionner les prisonniers qui seraient libérés, comme un des meilleurs moments de sa carrière.
Dodd craignait que Diels ne soit allé trop loin. Le jour de Noël, il écrivit dans son journal : « Le chef de la police secrète 19 a fait une chose extrêmement dangereuse et je ne serais pas surpris d’apprendre plus tard qu’on l’a jeté en prison. »
En traversant la ville, ce jour-là, Dodd fut de nouveau frappé par l’« extraordinaire » goût des Allemands pour les décorations de Noël. Il voyait des sapins partout, sur chaque place et derrière chaque fenêtre.
« On pourrait penser 20 , notait-il, que les Allemands croient en Jésus et qu’ils mettent ses enseignements en pratique ! »
* Paru en 1927, trad. par Henri Delgove et R.-N. Raimbault, éd. Gutenberg, 2008. ( NdT. )
Cinquième partie
ANXIÉTÉ
28
J ANVIER 1934
L e 9 janvier, Marinus Van der Lubbe, le principal accusé du procès du Reichstag, fut informé par le procureur qu’il serait exécuté le lendemain.
« Merci de me prévenir 1 , répondit Van der Lubbe. Je vous vois donc demain. »
Le bourreau portait une redingote, un haut-de-forme et, dénotant un esprit tatillon, des gants blancs. Il utilisa la guillotine.
L’exécution de Van der Lubbe mit un point final, aussi clair que sanglant, à la saga de l’incendie du Reichstag, étouffant une source de turbulence qui entretenait le trouble en Allemagne depuis le mois de février précédent. Quiconque désirait un dénouement pouvait pointer du doigt la déclaration officielle : Van der Lubbe avait mis le feu et, à présent, Van der Lubbe était mort. Dimitrov, toujours en vie, devait être expédié par avion à Moscou. L’Allemagne pouvait maintenant se rétablir en toute tranquillité.
En ce début d’année, l’Allemagne semblait apparemment s’être stabilisée, provoquant la déception de bon nombre d’observateurs et diplomates étrangers qui continuaient d’espérer que les pressions économiques entraîneraient l’effondrement du régime. Au terme de sa première année en tant que chancelier, Hitler paraissait plus rationnel, presque conciliant, et alla jusqu’à laisser entendre qu’il soutiendrait un pacte de non-agression avec la France et la Grande-Bretagne. Anthony Eden, lord du Sceau privé, se rendit en Allemagne pour le rencontrer et, comme Dodd, repartit impressionné par la sincérité de Hitler dans son désir de paix. Sir Eric Phipps, ambassadeur britannique en Allemagne, nota dans
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