Dans le jardin de la bête
sous-entendus pour tourmenter Bassett. Comme elle le lui confia plus tard : « Je m’occupais 19 à panser mes plaies et à te blesser avec Sandburg et les autres. »
Toutes ces forces se cristallisèrent un jour sur la pelouse de la maison des Dodd de Blackstone Avenue. « Sais-tu vraiment 20 pourquoi notre mariage n’a pas marché ? lui demanda-t-elle. Parce que j’étais trop jeune et que je n’étais pas mûre, même à vingt-trois ans, pour quitter ma famille ! Mon cœur s’est brisé quand mon père m’a dit, alors qu’il s’affairait à quelque chose sur la pelouse devant la maison, peu après que tu m’avais épousée : “Alors ma chère petite fille veut quitter son vieux père.” »
Au milieu de ce maelström de sentiments, son père vint la trouver pour l’inviter à le suivre à Berlin. Brusquement, elle fut confrontée à un choix : Bassett et la banque et, par la suite, inévitablement, une maison à Larchmont, des enfants, une pelouse… ou son père et Berlin, et qui sait quoi d’autre ?
L’invitation de son père était irrésistible. « Je devais choisir 21 entre lui et l’“aventure”, et toi, expliqua-t-elle plus tard à Bassett. Je n’ai pas pu m’empêcher de faire ce choix. »
* Litt. : « rayon de miel ». Honeybuncha mia est un « néologisme » pseudo-italianisant d’après l’anglais. ( NdT. )
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L A PEUR
L a semaine suivante, Dodd prit le train pour Washington où, le vendredi 16 juin, il rencontra Roosevelt pour un déjeuner qui leur fut servi sur deux plateaux sur le bureau présidentiel.
Souriant et plein d’entrain 1 , Roosevelt se lança avec une délectation évidente dans le récit d’une récente visite à Washington de Hjalmar Schacht, le directeur de la Reichsbank, qui avait le pouvoir de décider si l’Allemagne rembourserait sa dette à ses créanciers américains. Roosevelt expliqua qu’il avait chargé le secrétaire d’État Hull de recourir à quelques recettes éprouvées pour saper l’arrogance légendaire de Schacht. Le financier devait être conduit dans le bureau de Hull et rester debout devant la table du secrétaire. Hull devait agir comme si Schacht n’était pas là et « faire comme s’il était plongé dans l’étude de certains papiers en laissant Schacht debout, sans lui accorder un regard pendant trois minutes », raconta Dodd par la suite. Enfin, Hull devait trouver ce qu’il cherchait – une note sévère de Roosevelt condamnant toute tentative de l’Allemagne de faillir à ses engagements. C’est alors seulement que Hull devait se lever et saluer Schacht, tout en lui tendant simultanément le message. Le but de ce stratagème, dit Roosevelt à Dodd, était de « réduire quelque peu l’arrogance toute germanique de son attitude ». Roosevelt semblait penser que le plan avait marché extrêmement bien.
Le président évoqua ensuite ses attentes vis-à-vis de Dodd. Tout d’abord, il souleva la question de la dette de l’Allemagne, exprimant une ambivalence. Il admit que les banquiers américains avaient réalisé ce qu’il appelait « des profits exorbitants » en prêtant de l’argent aux entreprises et aux villes allemandes et en vendant des obligations conjointes aux citoyens américains. « Mais nos concitoyens 2 ont le droit d’être remboursés, et bien que cela ne relève nullement de la responsabilité du gouvernement, je tiens à ce que vous fassiez tout en votre pouvoir pour empêcher un moratoire [une suspension du paiement de l’Allemagne]. Cela aurait pour effet de retarder le recouvrement de la dette. »
Le président passa ensuite à ce que tout le monde semblait appeler le « problème juif », ou la « question juive ».
Pour Roosevelt, c’était un terrain glissant 3 . Même s’il était atterré par le comportement des nazis à l’égard des Juifs et qu’il n’ignorait pas la violence qui avait secoué l’Allemagne plus tôt cette année-là, il s’était abstenu de prononcer une condamnation explicite. Certains responsables juifs, comme le rabbin Wise, le juge Irving Lehman et Lewis L. Strauss, un associé de Kuhn, Loeb & Co., souhaitaient que Roosevelt sorte de sa réserve ; d’autres, comme Felix Warburg et le juge Joseph Proskauer, privilégiaient une approche plus discrète et poussaient le président à faciliter l’accueil des Juifs aux États-Unis. La réticence dont Roosevelt faisait preuve sur les
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