Dans le jardin de la bête
adjoint R. Walton Moore, qu’il préférerait démissionner que « rester une simple figure de proue protocolaire et mondaine ».
Les Dodd atteignirent l’Allemagne le jeudi 13 juillet 1933. Dodd avait présumé à tort 19 que toutes les dispositions avaient été prises pour leur arrivée ; après une lente et ennuyeuse remontée de l’Elbe, ils débarquèrent à Hambourg pour découvrir que personne de l’ambassade n’avait réservé de places dans le train, moins encore l’autorail privé d’usage, pour les transporter à Berlin. Un fonctionnaire, George Gordon, conseiller d’ambassade, les attendait sur le quai et leur retint à la hâte des compartiments dans un vieux train classique, bien loin du fameux Fliegender Hamburger * qui reliait Berlin en à peine plus de deux heures. La Chevrolet familiale posait un autre problème. Bill junior avait prévu de se rendre à Berlin en automobile, mais il avait omis de remplir les documents pour qu’elle soit débarquée et autorisée à rouler sur les routes allemandes. Cela étant résolu, Bill se mit en route. Dans l’intervalle, Dodd répondit au pied levé 20 à un groupe de reporters comprenant un journaliste d’un journal juif, le Hamburger Israelitisches Familienblatt , qui publia par la suite un article laissant entendre que la mission première du nouvel ambassadeur était d’arrêter les persécutions des Juifs – exactement le genre de distorsion que Dodd avait espéré éviter.
L’après-midi passant, la famille Dodd conçut une antipathie grandissante à l’égard du conseiller Gordon. Il arrivait en deuxième dans la hiérarchie de l’ambassade et supervisait un escadron de premiers et deuxièmes secrétaires, sténographes, documentalistes et employés au chiffre, et divers autres salariés, deux dizaines en tout. Il était raide et arrogant 21 , vêtu comme un aristocrate du siècle dernier. Il portait une canne. Il avait la moustache retroussée, le teint rubicond, signe de ce qu’un fonctionnaire appelait son « tempérament très colérique » 22 . Il parlait, dit Martha, d’un ton « sec, poli et incontestablement condescendant » 23 . Il ne faisait aucun effort pour dissimuler son mépris pour la mise simple de la famille ou son déplaisir de les voir arriver seuls, sans une armée de valets, de domestiques et de chauffeurs. Le précédent ambassadeur, Sackett, était un homme selon son cœur, riche, employant dix domestiques à la résidence. Martha sentit que, pour Gordon, sa famille représentait une catégorie d’êtres humains « avec lesquels 24 il s’était refusé à frayer pendant sans doute la plus grande partie de sa vie d’adulte ».
Martha et sa mère voyagèrent dans un compartiment, au milieu de bouquets qui leur avaient été offerts, sur le quai, en geste de bienvenue. Mattie était anxieuse 25 et déprimée, anticipant « Les devoirs et les changements quotidiens » qui les attendaient, se souvient Martha. Elle posa sa tête sur l’épaule de sa mère et ne tarda pas à s’endormir.
Dodd et Gordon s’installèrent dans un compartiment indépendant pour discuter des questions d’ambassade et de la politique allemande. Gordon avertit Dodd que sa parcimonie et son vœu de vivre dans les limites des revenus que lui versait le Département d’État allaient représenter un obstacle pour établir des relations avec le gouvernement d’Hitler. Dodd n’était plus un simple professeur d’université, lui rappela Gordon. Il était un important diplomate confronté à un régime arrogant qui ne respectait que la force. Le rapport de Dodd à la vie quotidienne devrait changer.
Le train fonçait à travers de jolies villes et des vallons boisés dans la lumière de l’après-midi et, en trois heures environ, parvint au Grand Berlin. Pour finir, le convoi entra à grands jets de vapeur dans Lehrter Bahnhof, sur un coude de la Spree où le fleuve arrose le cœur de la ville. Faisant partie des cinq gares ferroviaires de Berlin, l’édifice se dressait au-dessus de son environnement telle une cathédrale, avec un plafond voûté et des rangées de fenêtres cintrées.
Sur le quai, la famille Dodd fut accueillie par une foule d’Américains et d’Allemands qui les attendaient, dont des représentants du ministère des Affaires étrangères allemand et des journalistes équipés d’appareils photo armés de flashs. Un homme à l’allure énergique, de
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