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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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l’entrée de l’Hôtel Adlon, au 1 de l’avenue Unter den Linden, vendait toujours ses cigares (et Hitler continuait de fuir l’hôtel, lui préférant le Kaiserhof voisin). Chaque matin, les Allemands envahissaient le Tiergarten, souvent à cheval, tandis que des milliers d’autres arrivaient au centre-ville en train et en tram, venant des quartiers périphériques tels que Wedding et Onkel Toms Hütte. Des hommes et des femmes bien habillés étaient assis au Romanisches Café, buvaient du café et du vin, et fumaient des cigarettes et des cigares en faisant preuve de l’esprit de repartie pour lequel les Berlinois étaient célèbres – le Berliner Schnauze  9 , la fameuse « grande gueule » des Berlinois. Au cabaret Katakombe, Werner Finck continuait à brocarder le nouveau régime, malgré le risque d’être arrêté. Pendant une représentation, un membre du public le traita de « sale yid  », à quoi il répondit : « Je ne suis pas juif  10 . J’ai juste l’air intelligent. » L’assistance rit de bon cœur.
    Les beaux jours étaient encore beaux. « Le soleil brille  11 , note Christopher Isherwood dans ses Berlin Stories , et Hitler est le maître de cette ville. Le soleil brille, et des dizaines de mes amis… sont en prison, peut-être morts. » La normalité de l’époque était séduisante. « J’entrevois le reflet de mon visage dans la glace d’un magasin et je suis choqué de constater que je souris, remarque encore Isherwood. Je ne puis m’empêcher de sourire, tellement il fait beau. » Les trams circulaient comme d’habitude, de même que les piétons dans la rue ; tout, autour de lui, avait « un je-ne-sais-quoi de curieusement familier, une ressemblance frappante avec quelque chose dont on se souvient et qui était jadis normal et agréable… comme une très bonne photographie ».
    Mais sous la surface, l’Allemagne subissait une révolution rapide et radicale qui pénétrait au cœur de l’étoffe de la vie quotidienne. Elle s’était produite silencieusement et, pour la majeure partie, à l’abri des regards superficiels. À la base figurait la Gleichschaltung  12 – la « mise au pas » (autrement dit, la nazification) –, un train de mesures officielles destinées à aligner les citoyens, les ministres, les universités et les institutions culturelles et sociales sur les idées et les positions du national-socialisme.
    La « mise au pas » s’effectuait à une vitesse étonnante, même dans des milieux non directement visés par des lois spécifiques, les Allemands se plaçant de leur propre chef sous l’autorité nazie, un phénomène qui prit le nom de Selbstgleichschaltung , ou « mise au pas volontaire »  13 . Le changement se fit à une telle vitesse et avec une telle ampleur que les Allemands qui quittaient le pays pour les affaires ou un voyage remarquaient la différence en revenant, comme s’ils étaient les personnages d’un film d’horreur qui découvraient à leur retour que des gens qui avaient été jadis leurs amis, clients et patients, avaient changé d’une façon imperceptible. Gerda Laufer  14 , une socialiste, écrivit qu’elle se sentait « profondément remuée par le fait que des gens qu’on considérait comme des amis, qu’on connaissait depuis longtemps, se transformaient d’une heure à l’autre ».
    Les voisins devenaient hargneux ; des jalousies mesquines se traduisaient par des dénonciations aux SA – les chemises brunes – ou à la Geheime Staatspolizei, qui commençait à se faire connaître sous son acronyme, la Gestapo (GEheimeSTAatsPOlizei), inventé par un employé des Postes  15  cherchant une façon plus commode d’identifier l’organisation. La réputation d’omniscience et de malveillance de la Gestapo tenait à deux phénomènes : premièrement, un climat politique dans lequel la simple critique du gouvernement pouvait vous faire arrêter et, deuxièmement, l’existence d’une population désireuse non seulement de se conformer et de se mettre au pas, mais aussi d’utiliser les opinions nazies pour satisfaire un appétit individuel et assouvir des jalousies. Une étude des registres nazis  16  a démontré que, sur un échantillon de deux cent treize dénonciations, 37 % relevaient non pas d’une conviction politique sincère, mais de conflits privés, dont le déclencheur était souvent d’une insignifiance stupéfiante. Ainsi, en octobre 1933  17 , le

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