Dans le jardin de la bête
Mowrer, fut informé de ces menaces, il se résigna à transférer Mowrer hors de Berlin. Il lui offrit le bureau du journal à Tokyo. Mowrer accepta à contrecœur, conscient que, tôt ou tard, il serait expulsé d’Allemagne, mais il insista pour rester jusqu’en octobre, en partie pour démontrer qu’il ne se laissait pas intimider, mais surtout parce qu’il voulait couvrir le rassemblement annuel du parti nazi à Nuremberg, programmé pour le 1 er septembre. Le spectacle du « Congrès du Parti pour la Victoire » promettait d’être grandiose.
Les nazis voulaient qu’il disparaisse sur-le-champ. Les SA se manifestèrent devant son bureau. Ils suivirent ses amis et menacèrent les membres de son équipe. À Washington, l’ambassadeur d’Allemagne signala au Département d’État que, en raison de l’« indignation justifiée du peuple » 7 , le gouvernement ne pouvait plus garantir la sécurité de Mowrer.
À ce stade, même ses confrères commençaient à s’inquiéter. H. R. Knickerbocker et un autre reporter allèrent voir le consul général Messersmith pour lui demander de convaincre Mowrer de partir. Messersmith était réticent. Il connaissait bien Mowrer et respectait son courage à défier les nazis. Il craignait que Mowrer ne prenne son intervention comme une trahison. Néanmoins, il accepta d’essayer.
Ce fut « une des conversations les plus difficiles que j’aie jamais eues, écrivit Messersmith par la suite. Quand il vit que je me joignais à ses autres amis pour tenter de le persuader de partir, il eut les larmes aux yeux et me regarda avec reproche ». Toutefois, Messersmith pensait qu’il était de son devoir de le convaincre de s’en aller.
Mowrer renonça « avec un geste de désespoir » et il quitta le bureau de Messersmith.
Aussitôt, le journaliste alla porter l’affaire directement devant l’ambassadeur américain, mais celui-ci pensait aussi qu’il valait mieux qu’il parte, non seulement pour sa propre sécurité mais parce que ses articles contribuaient à la tension dans une situation diplomatique déjà suffisamment difficile.
« Si vous n’étiez pas transféré 8 par votre journal, de toute façon, je serais monté au créneau pour cette affaire… Ne pouvez-vous pas l’accepter, pour éviter les complications ? »
Mowrer céda. Il convint de partir le 1 er septembre, un jour avant le congrès de Nuremberg qu’il avait tellement voulu couvrir.
Martha écrivit plus tard : « Il ne pardonna jamais tout à fait à mon père 9 de lui avoir donné ce conseil. »
Un autre des premiers visiteurs de Dodd fut, comme il le rapporte lui-même, « Le chimiste peut-être le plus éminent d’Allemagne », bien qu’il n’en eût pas l’air. Il était plutôt petit de taille et le crâne chauve, avec une fine moustache grise au-dessus de lèvres pleines. Il avait le teint cireux, l’air d’un homme beaucoup plus vieux que son âge.
C’était Fritz Haber. Pour tous les Allemands, c’était un nom connu et respecté, ou du moins l’était-il jusqu’à l’avènement d’Hitler. Il y avait peu encore, Haber était le directeur du célèbre institut Kaiser-Wilhelm pour la chimie physique. C’était un héros de guerre et un prix Nobel. Dans l’espoir de mettre fin à la guerre des tranchées pendant la Grande Guerre, Haber avait inventé un gaz toxique, le chlore. Il avait défini ce qu’on appelle communément la constante de Haber, ou la loi de Haber, exprimée par la formule mathématique c x t = k 10 , d’une élégante fatalité : une concentration faible de gaz (« c ») sur une longue durée d’exposition (« t ») donnera le même résultat qu’une forte concentration sur une courte durée d’exposition (« k » étant la constante). Il inventa aussi un moyen de répandre ce gaz sur le terrain et se rendit lui-même sur le front en 1915 pour sa première utilisation contre les forces françaises à Ypres. Au plan personnel 11 , cette journée à Ypres lui coûta cher. Sa femme, Clara, qu’il avait épousée trente-deux ans plus tôt, condamnait ses recherches qu’elle trouvait inhumaines et immorales, et lui avait demandé d’arrêter, mais, à ces préoccupations, il offrait une réponse toute faite : la mort est la mort, peu importe la cause. Neuf jours après l’attaque au gaz à Ypres, elle se suicida. Malgré le tollé international suscité par les recherches de
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