Dans le jardin de la bête
Défense, de se tenir prêt à une action militaire éventuelle de la part des membres de la SDN qui pourraient vouloir imposer le respect du traité de Versailles – même si Blomberg savait parfaitement que la petite armée allemande ne pouvait espérer l’emporter devant l’action conjuguée de la France, la Pologne et la Tchécoslovaquie. « Il est certain que, à cette époque, non seulement les Alliés auraient pu facilement battre 23 l’Allemagne, mais une telle action aurait également écrasé dans l’œuf le Troisième Reich l’année même de sa naissance », analyse William Shirer dans Le Troisième Reich, des origines à la chute , devenu un classique. Cependant, Hitler « avait jaugé le courage de ses adversaires étrangers d’une façon aussi experte et mystérieuse qu’il avait su évaluer celui de ses opposants de l’intérieur ».
Même si Dodd continuait d’entretenir l’espoir que le gouvernement allemand deviendrait plus fréquentable, il reconnut que ces deux décisions d’Hitler étaient de mauvais augure et allaient dans le sens inverse de la modération. Le moment était venu, il le savait, de rencontrer Hitler face à face.
Dodd alla se coucher, ce soir-là, l’esprit profondément troublé.
Le mardi 17 octobre 1933, peu avant midi, le « progressiste acharné » de Roosevelt partit en chapeau haut-de-forme et frac à son premier rendez-vous avec Adolf Hitler.
* Célébré traditionnellement aux États-Unis le deuxième lundi d’octobre. ( NdT. )
19
L ’ENTREMETTEUR
P utzi Hanfstaengl connaissait les multiples liaisons de Martha, mais, à l’automne 1933, il songea à lui donner un nouveau partenaire.
Imaginant que Hitler serait un dirigeant beaucoup plus raisonnable s’il tombait amoureux, Hanfstaengl s’improvisa entremetteur. Il savait que la tâche ne serait pas facile. Étant un des plus proches acolytes du Führer, il était conscient que l’histoire des relations d’Hitler avec les femmes était bizarre, entachée de tragédies et de rumeurs persistantes d’un comportement douteux. Hitler aimait les femmes, mais plus pour le décor que pour les rapports intimes et l’amour qu’elles pouvaient lui apporter. De nombreuses liaisons avaient été évoquées 1 , en règle générale avec des femmes beaucoup plus jeunes que lui – en particulier, Maria Reiter, âgée de seize ans. Eva Braun, pour sa part, avait vingt-trois ans de moins que lui et il avait avec elle une liaison intermittente depuis 1929. Jusque-là, cependant, sa seule aventure dévorante avait été avec sa jeune nièce, Geli Raubal. On l’avait retrouvée morte, tuée par balles, chez Hitler, avec le revolver de celui-ci à proximité. L’explication la plus vraisemblable était le suicide, un moyen pour elle d’échapper à la jalousie exclusive et étouffante d’Hitler – sa « possessivité moite » 2 , selon les termes de l’historien Ian Kershaw. Hanfstaengl soupçonnait que Hitler avait été un temps attiré par sa propre femme, Helena, mais elle lui avait assuré qu’il n’avait aucune raison d’être jaloux. « Crois-moi 3 , lui dit-elle, il est totalement asexué, ce n’est pas un homme. »
Hanfstaengl appela Martha chez elle.
« Hitler a besoin d’une femme 4 , déclara-t-il. Hitler devrait avoir une Américaine… une femme charmante pourrait changer tout le destin de l’Europe. »
Il en vint au fait : « Martha, cette femme, c’est toi ! »
Quatrième partie
UN SQUELETTE
QUI GRELOTTE DE FROID
20
L E BAISER
DU F ÜHRER
D odd gravit un large escalier conduisant au bureau d’Hitler, croisant à chaque tournant des SS en armes le bras levé dans le genre « ave César », selon Dodd. Il répondait en hochant la tête et entra enfin dans la salle d’attente d’Hitler. Quelques instants plus tard, la haute porte noire de son bureau s’ouvrit. Le ministre des Affaires étrangères, von Neurath, sortit pour accueillir Dodd et le conduire auprès du dictateur. Le bureau était une pièce immense, environ quinze mètres sur quinze, d’après l’estimation de Dodd, avec des murs et un plafond richement décorés. Hitler, « impeccable et raide » 1 , portait un complet-veston ordinaire. Dodd remarqua qu’il avait une meilleure apparence que sur les photographies de presse.
Malgré tout, Hitler n’avait pas une folle allure. C’était rarement le cas. Dans les débuts de son ascension, ceux qui le
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