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Dans le jardin de la bête

Dans le jardin de la bête

Titel: Dans le jardin de la bête Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Erik LARSON
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étroite et j’étais assise à environ un mètre de lui. »
    Elle fit tout son possible pour entamer la conversation avec lui, n’essuyant que des rebuffades. Elle s’était promis qu’elle « essaierait d’être une hôtesse parfaite et qu’elle éviterait les sujets à controverse », mais plus von Papen refusait de lui prêter attention, moins elle était tentée de le faire. Sa résolution, confie-t-elle, « s’effritait devant les mauvaises manières de von Papen ».
    Après le quatrième plat, à bout de patience, elle regarda von Papen et, adoptant ce qu’elle décrivit comme « un ton le plus ingénu possible », elle déclara : « Monsieur le chancelier, il y a un passage dans les Mémoires du président von Hindenburg que je suis sûre que vous pourrez élucider pour moi. »
    Von Papen lui accorda enfin son attention. Ses sourcils se haussèrent à leur extrémité comme des plumes donnant à son regard l’expression glaciale d’un rapace.
    Schultz conserva son air angélique et poursuivit : « Il se plaint que, durant la dernière guerre, en 1917, le Haut Commandement allemand n’a jamais eu vent des propositions de paix du président Wilson et que s’il en avait été informé, la dangereuse campagne sous-marine n’aurait pas eu lieu. Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? »
    Malgré son ton tranquille, tout le monde se trouvant à portée de voix se tut brusquement et prêta attention. Dodd observait von Papen ; le secrétaire d’État Bülow se pencha vers les interlocuteurs avec, d’après Schultz, « une lueur malicieuse dans l’œil ».
    « Le président Wilson n’a fait aucune proposition de paix », lâcha von Papen.
    C’était stupide de sa part d’affirmer une telle chose, Schultz le savait, compte tenu de la présence de l’ambassadeur Dodd, un spécialiste de Wilson et de la période en question.
    Tranquillement mais fermement, sa voix marquée par l’accent brumeux de Caroline du Nord – « gentleman sudiste jusqu’au bout des ongles », précisait Schultz –, Dodd considéra von Papen et dit : « Oh ! si. Il en a fait une. » Et il donna la date précise.
    Schultz était aux anges. « Les longues dents chevalines de von Papen s’allongèrent, écrit-elle. Il n’essaya pas même d’imiter le ton tranquille de l’ambassadeur Dodd. »
    Il se contenta d’aboyer sa réponse : « De toute façon, je n’ai jamais compris pourquoi l’Amérique et l’Allemagne se sont affrontées dans cette guerre. » Il regarda les visages autour de lui, « triomphalement fier de l’arrogance avec laquelle il avait prononcé ces paroles », expliqua Schultz.
    La minute suivante, Dodd s’acquit l’« admiration et la reconnaissance éternelles » de Schultz.
     
    En attendant, à une autre table, Bella Fromm était tenaillée par une angoisse qui n’avait aucun rapport avec la conversation qui l’entourait. Elle était venue au bal parce qu’on s’y amusait toujours et que c’était très utile pour sa chronique sur la communauté diplomatique de Berlin. Mais cette année, elle refoulait un profond sentiment de malaise. Même si elle passait du bon temps, de temps à autre son esprit retournait à sa meilleure amie, Wera von Huhn, également une chroniqueuse importante, que presque tout le monde surnommait « Poulette », traduction française de son nom de famille, Huhn.
    Dix jours plus tôt, Fromm et Poulette étaient allées en balade dans le Grunewald, une forêt de quatre mille hectares à l’ouest de Berlin. Comme le Tiergarten, elle était devenue un refuge pour les diplomates et d’autres gens cherchant un peu de répit à la surveillance des nazis. Rouler dans la forêt procurait à Fromm un rare sentiment de sécurité. « Plus le moteur fait de bruit  8 , écrit-elle dans son journal, plus je me sens à l’aise. »
    Cependant, cette dernière excursion n’avait rien d’insouciant. Leur conversation se concentra sur la loi adoptée le mois précédent qui interdisait aux Juifs de publier et d’écrire dans les journaux allemands et demandait aux membres de la presse nationale de présenter des pièces d’état civil et un certificat de baptême pour prouver qu’ils étaient « aryens ». Certains Juifs pouvaient encore conserver leur emploi, principalement ceux qui s’étaient battus dans la guerre précédente, ou qui avaient perdu un fils, ou qui écrivaient pour des journaux juifs, mais

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