Dans l'intimité des reines et des favorites
(futur duc d’Alençon), continua cet inceste toute sa vie ; et Henri l’en désestima tellement que depuis il ne la put aimer. »
Cette accusation, Agrippa d’Aubigné la confirme dans ce quatrain :
Les trois en même lieu ont à l’envi porté
La première moisson de leur lubricité :
Des deux derniers après la chaleur aveuglée
A sans doute hérité l’inceste redoublé [3] .
Enfin, nous avons un aveu de Marguerite elle-même : apprenant, un jour, que son frère, devenu Henri III , lui reprochait sa conduite, elle s’écria : « Il se plaint que je passe mon temps à faire l’amour ; hé ! ne sait-il pas que c’est lui qui m’a mise le premier au montoir ? »
Cet amour incestueux fut d’ailleurs à l’origine d’un ordre religieux, ce qui consolera les esprits chagrins. En effet, du Vair nous conte que « l’évêque de Grasse, premier aumônier de la feue reine Marguerite, dit avoir appris d’elle fort confidentiellement que l’Institution de l’Ordre du Saint-Esprit avait été faite pour l’amour d’elle, et de fait que les couleurs de l’Ordre étaient les siennes propres, savoir est : le vert naissant, le jaune doré, le blanc et le bleu violet ; que les chiffres des doubles M étaient pour elle, comme aussi le ΦΔ et les H pour le roi Henri III ; qu’en effet il l’avait grandement aimée sans qu’elle y eût aucune inclination, et qu’il n’avait jamais joui d’elle que par force… ».
C’est ainsi que, jusqu’en 1830, de graves messieurs perpétuèrent, sans le savoir, le souvenir d’un affligeant désordre [4] .
Lorsqu’elle eut dix-huit ans, les hommes furent tellement attirés par sa beauté que Marguerite n’eut plus que l’embarras du choix. Brune aux yeux de jais, elle avait « un regard capable d’embraser le monde » et une peau « blanche comme lait » qu’elle s’amusait à faire valoir en recevant ses amants dans un lit recouvert de mousseline noire…
Les vêtements qu’elle portait étaient, d’ailleurs, d’une rare impudicité, car elle entendait ne rien cacher de ses charmes. « Ces beaux accoutrements et belles parures, dit Brantôme, qui fut amoureux d’elle, n’osèrent jamais entreprendre de couvrir sa belle gorge ni son beau sein, craignant de faire tort à la vue du monde qui se posait sur un si bel objet ; car jamais n’en fut vue si belle ni si blanche, si pleine ni si charnue, qu’elle montrait si à plein et si découverte que la plupart des courtisans en mouraient, voire des dames que j’ai vues, aucunes de ses plus privées, avec sa licence la baiser par un grand ravissement [5] .
C’est alors qu’elle tomba amoureuse de son cousin Henri de Guise, beau blond âgé de vingt ans.
Ardents tous deux et pas plus pudiques que de jeunes chiens, ils se livraient aux jeux d’amour là où le désir les prenait, que ce fût dans une chambre, un jardin ou un escalier. On les surprit même un jour dans un couloir du Louvre alors qu’ils « faisaient le péché du monde… » [6] .
Charles IX , qui régnait alors, ignora cette idylle un peu poussée, jusqu’au 25 juin 1570. Ce jour-là, à cinq heures du matin, M. du Guast vint le réveiller et lui remit une lettre. L’esprit « mal dégagé des brumes du sommeil », le roi prit le papier et commença à lire. Son cerveau se clarifia brusquement comme sous l’effet d’une bouffée d’ammoniaque, lorsqu’il comprit qu’il avait entre les mains un billet écrit par Marguerite et destiné au duc de Guise. Les termes en étaient si crus, si gaillards, qu’ils ne laissaient aucun doute sur la nature des relations existant entre les correspondants.
Or le roi détestait M. de Guise, auquel il reprochait d’être intelligent et spirituel.
À la pensée que ce bellâtre, qui représentait avec tant d’éclat la puissante Maison de Lorraine, avait pu séduire sa sœur, il devint comme fou. Sans prendre le soin de s’habiller, il courut en chemise de nuit jusque chez Catherine de Médicis.
— Lisez, dit-il.
La reine mère, on le sait, avait l’esprit tourné vers l’intrigue. Là où Marguerite ne voyait qu’une aventure exaltante et propre à calmer ses sens, la Florentine soupçonna une machination. Et, pour exciter la colère du roi, elle déclara que Guise n’avait agi que par ambition, à seule fin de devenir un jour le mari d’une fille de France.
— C’est un crime de lèse-majesté !
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