Dans l'intimité des reines et des favorites
entendait être libre dans ses inclinations et qu’il ne s’attirerait que sa haine s’il l’empêchait d’épouser le duc de Bellegarde ». Après quoi, sans même attendre une réponse, elle repartit pour Cœuvres.
« Frappé comme d’un coup de foudre, nous dit Dreux du Radier, le roi se livra à tous les sentiments du chagrin le plus vif. Les menaces de M lle d’Estrées l’étonnèrent plus que tous les dangers qu’il avoit courus. On vit alors le héros de Coutras, d’Arqués, d’Ivry, le roi le plus brave et le plus intrépide qu’ait eu la France, étourdi de ce coup, tremblant et désespéré [105] . »
Il ne put dormir de la nuit et conçut un projet insensé qu’il exécuta dès le lendemain matin. Abandonnant son armée, interrompant la lutte contre la Ligue, oubliant qu’il était en train de conquérir un royaume, il partit avec cinq de ses confidents les plus intimes en direction de Cœuvres, où il voulait aller implorer son pardon.
Cette entreprise était d’une folle témérité, car deux garnisons ennemies occupaient une forêt par laquelle il devait nécessairement passer. Le risque d’être reconnu et pris par les Ligueurs était si grand qu’il avait imaginé un stratagème digne d’un collégien amoureux. À trois lieues du château de Cœuvres, il renvoya ses compagnons, descendit de cheval, s’habilla en paysan, se mit un sac plein de paille sur la tête et acheva son voyage à pied.
« M me d’Estrées, qui était, nous dit Sauval, avec M me de Villars, sa sœur, à la fenêtre d’une galerie d’où l’on découvrait la campagne, vit ce paysan et ne pensant à rien moins qu’à une si bizarre aventure n’examina point son visage.
« Quand le roi fut entré dans la cour du château, il jeta son sac, monta, sans avertir personne, au lieu où il avait vu celle qui étoit la cause de son déguisement ; il l’aborda d’une manière fort soumise. Mais il la surprit extrêmement, quand elle l’aperçut, dans un équipage si peu conforme à sa dignité ; et, bien loin de lui être obligée de ce qu’il venoit de faire pour avoir le plaisir de la voir, elle le reçut d’un air méprisant qui convenoit mieux à l’habit qu’il portoit qu’à l’éclat de sa naissance. Elle lui dit d’un air dédaigneux qu’il allât changer d’habit s’il vouloit demeurer auprès d’elle, et elle quitta brusquement, laissant à sa sœur le soin d’excuser son incivilité [106] . »
Ce voyage pendant lequel Henri IV avait couru le risque de perdre sa couronne avait donc été inutile. Il rentra à Compiègne désespéré. « Il paraissoit sur son visage tant d’affliction, précise Sauval, que ceux qui le virent dans un si grand abattement crurent qu’il avoit au moins perdu la moitié de son royaume. »
Ne pouvant plus vivre sans voir Gabrielle, il nomma Antoine d’Estrées membre de son Conseil privé, pensant bien attirer ainsi toute la famille à Compiègne. Le coup réussit. La semaine ne s’était pas écoulée que le père et les deux filles s’installaient à la cour…
À partir de ce moment, Gabrielle, comprenant que l’amour qu’elle inspirait pouvait être utile à sa famille, se montra plus aimable avec Henri IV . Toutefois, elle ne tolérait pas qu’il lui mît « la main à la fesse », et le pauvre en souffrait…
La victoire, pourtant bien timide, que venait de remporter le roi accabla Bellegarde, toujours aussi amoureux de Gabrielle, et désola tous les soupirants que la blonde Picarde traînait à ses trousses.
L’un d’eux, l’ambitieux duc de Longueville, avec qui M lle d’Estrées se montrait coquette et tendre, fut plus inquiet que peiné. Ayant réussi facilement là où Henri IV éprouvait quelques difficultés, il craignit que sa bonne fortune ne lui attirât des ennuis avec le souverain. « Il ne voulait pas, nous dit Dreux du Radier, acheter ses plaisirs au prix d’une disgrâce. »
Pressé de finir une intrigue qui ne pouvait avoir que des suites fâcheuses pour lui, il réclama ses lettres à Gabrielle d’Estrées et offrit de lui rendre les siennes. L’échange eut lieu dans un coin retiré du parc de Compiègne et les deux amants se séparèrent à l’amiable ; mais, lorsqu’elle rentra chez elle, Gabrielle s’aperçut avec colère que Longueville, « pour la tenir dans une espèce de dépendance », avait conservé les billets les plus tendres.
Elle se vengea assez méchamment
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