Dans l'intimité des reines et des favorites
paroissiens furent quérir la nuit et le contraignirent de se relever. À la vérité ce bon curé, avec deux ou trois autres de la ville de Paris, condamnoit ces processions nocturnes, parce que les hommes, femmes, filles et garçons marchoient pêle-mêle ensemble et tous nuds, et engendroient des fruits aultres que ceux pour la fin desquels elles avoient été instituées. Comme de fait, près de la porte Montmartre, la fille d’une bonnetière en rapporta des fruits au bout de neuf mois ; et un curé qu’on avoit ouy prescher peu auparavant qu’en ces processions les pieds blancs et douillets des femmes estoient fort agréables à Dieu, en planta un autre qui vinst à maturité au bout de terme [109] . »
L’époque, il est vrai, n’était pas à l’austérité. En cette France bouleversée par la guerre civile, les désordres les plus regrettables se déroulaient quotidiennement, aussi bien du côté protestant que du côté catholique ; et il est amusant de constater que ces hommes qui se haïssaient avaient tout de même un point commun : l’amour pour les nonnes. Ces saintes femmes, en effet, n’eurent jamais autant de succès qu’en ces temps de guerres religieuses.
Les huguenots les violaient, avec le sentiment agréable de mécontenter le pape, et les Ligueurs leur faisaient des enfants pour augmenter le nombre des catholiques.
Les nonnes, d’ailleurs, s’habituèrent assez rapidement à cette expérience voluptueuse. Accortes, elles offraient aux soldats de la Sainte Union qui venaient frapper à la porte de leur couvent une hospitalité témoignant d’une conception élargie de la charité chrétienne. L’abbesse ou la prieure donnait d’ailleurs l’exemple à ses filles, et « pourvu qu’elle ne fût pas trop vieille, ni trop laide, elle se mettait avec le chef de la troupe ». C’étaient alors des banquets, des chansons, des orgies qui duraient « tant que la maison des filles du Seigneur abritait une garnison ».
En certains endroits, à Paris notamment, elles allèrent jusqu’à enfreindre leurs vœux et à quitter le régime claustral. Un chroniqueur nous dit « qu’on ne voyoit que gentilshommes et religieuses accouplés, qui se faisoient l’amour et se leschaient le morveau ». Ces femmes se promenaient sans aucune honte avec leurs amants dans les lieux publics, « aussi vilaines et desbordées en paroles que tout le reste », portant sous le voile qu’elles avaient conservé, comme seul indice de leur état, « vrais habits de putain et courtisane, estant lardées, musquées et pouldrées ».
Comparée à ces dérèglements, la gaminerie de Henri IV était, on le voit, bien anodine…
Après la prise de Chartres, les conseillers qui étaient partisans d’une offensive contre Rouen insistèrent auprès du roi pour que l’armée se rendît immédiatement en Normandie ; mais Henri, tout à la joie de pouvoir enfin savourer la belle Gabrielle, fit la sourde oreille et, un beau soir, quitta tout le monde pour suivre sa nouvelle maîtresse à Cœuvres.
Pendant plus d’un mois, il se désintéressa complètement de la situation militaire pour s’abandonner à la douceur de ce qu’on appelait alors « la belle vie »…
Hélas ! les derniers jours de cette lune de miel furent troublés par Antoine d’Estrées qui, brusquement, laissa entendre à sa fille qu’il ne voulait pas jouer plus longtemps les pères complaisants.
Cette attitude était causée par la rancœur. Au moment où Gabrielle était entrée dans la couche royale, Antoine, seul de la famille, n’avait rien reçu en compensation, et son amertume était considérable.
Un soir, il appela Gabrielle :
— Le roi est marié, lui dit-il, jamais il ne répudiera sa femme. Vous voilà donc engagée dans les liens scandaleux qu’il vous faut rompre au plus vite. Je vais vous y aider d’ailleurs en vous mariant avec le sire de Liancourt.
Gabrielle fut épouvantée et rentra dans sa chambre en larmes.
Or qu’on ne se méprenne point : ce n’est pas le roi qu’elle craignait de perdre en se mariant, mais Bellegarde qu’elle n’avait pas cessé d’aimer et dont elle espérait encore devenir la femme. Il fallait donc, pour rester libre, amadouer Antoine d’Estrées en lui faisant donner au plus vite une charge importante.
Elle réfléchit et, quelques jours plus tard, demanda à Henri IV d’aller prendre aux Ligueurs la ville de Noyon, située à quinze lieues de
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