Dans l'intimité des reines et des favorites
conversation, dit à ce prince qu’il changeroit de sentiment s’il avoit vu M lle d’Estrées, et lui en fit un beau portrait qui lui donna envie de la connaître. »
Quelques jours après, le duc de Bellegarde demanda au roi la permission de se rendre à Cœuvres, près de Soissons, pour y voir sa maîtresse. Le Béarnais, très émoustillé, déclara aussitôt qu’il l’accompagnerait, ce qui ennuya fort le duc « pour ce qu’il connaissoit l’humeur libertine de son maître ».
Bellegarde avait raison d’être inquiet, car en voyant la blonde Gabrielle dans tout l’éclat de ses dix-huit ans, Henri IV fut ébloui, et tomba amoureux [102] …
10
Henri IV s’empare de Chartres pour
devenir l’amant de Gabrielle d’Estrées
Amour, tu perdis Troie.
La Fontaine
Cette jeune personne qui allait avoir, pendant neuf ans, tant d’influence sur le Béarnais était la fille d’Antoine d’Estrées, gouverneur de La Fère et de Françoise Babou de la Bourdaisière.
Elle était extraordinairement jolie. Voici comment une de ses amies – et qui dit amie dit pourtant rivale – nous la décrit : « Sa riche coiffure qu’elle avoit semée de quantité de brillants enchâssés dans l’or de sa belle tresse la faisoit remarquer avec avantage par-dessus toutes les autres dames. Ses yeux estoient de couleur céleste. Avec cela, elle avoit les deux sourcils également recourbés et de noirceur aimable, le nez un peu aquilin, la bouche de la couleur du rubis, la gorge plus blanche que n’est l’ivoire le plus beau et le plus poli, et les mains, dont le teint égaloit celui des roses et des lys mêlés ensemble, d’une proportion si admirable qu’on les prenoit pour un chef-d’œuvre de la nature [103] . »
En outre, elle avait quelque chose de pervers dans le regard qui lui venait de sa famille. Gabrielle appartenait en effet à une ardente lignée. Sa mère, après une jeunesse extrêmement galante, avait quitté son foyer à quarante-huit ans pour suivre en Auvergne le jeune marquis d’Allègre, et sa grand-mère, M me de la Bourdaisière, avait fait successivement les délices de François I er , du pape Clément VI et de l’empereur Charles Quint [104] .
Cette bonne race s’était déjà manifestée chez Gabrielle au moment où Henri IV la rencontra pour la première fois, si l’on en croit Bassompierre qui nous dit dans ses Mémoires : « Dès l’âge de seize ans, elle fut, par l’entremise du duc d’Épernon, prostituée à Henri III par sa mère. Henri III la paya six mille écus. Montigny, chargé de porter cette somme, en garda deux mille. Ce roi se dégoûta bientôt de Gabrielle, alors sa mère la livra à Zamet, riche financier, et à quelques autres partisans, ensuite au cardinal de Guise, qui vécut avec elle pendant un an. La belle Gabrielle passa ensuite au duc de Longueville, au duc de Bellegarde, et à plusieurs gentilshommes des environs de Cœuvres, tels que Brunay et Stenay ; enfin le duc de Bellegarde la présenta à Henri IV . »
Gabrielle s’aperçut tout de suite et avec agacement de l’impression qu’elle avait produite sur le roi. Habituée à être entourée de jeunes seigneurs élégants et raffinés, elle se montra distante et presque désagréable lorsque ce petit homme sale et puant l’ail voulut lui faire la cour.
Henri IV quitta Cœuvres extrêmement vexé et rejoignit son armée ; mais l’image de la blonde Gabrielle le poursuivait, et à quelque temps de là, nous dit Villegomblain, « un nouveau voyage, en apparence fondé sur une entreprise sur la ville de La Fère, ayant esté résolu, il eut de nouveau la vue de la belle, et en sentit complètement les pointures ».
Hélas ! cette fois encore, Gabrielle reçut fort mal le roi qui, furieux, rentra à Compiègne où se trouvait installée provisoirement la cour, et convoqua le duc de Bellegarde.
— Monsieur, lui dit-il, j’entends ne partager pas plus la femme que j’aime que la royauté. Je suis aussi jaloux de l’une que de l’autre. Je vous demande donc de ne plus penser à M lle d’Estrées.
Bellegarde, navré, alla sur-le-champ mettre Gabrielle au courant de la décision royale. Fort en colère, la demoiselle monta dans un carrosse et se rendit à Compiègne pour dire à Henri IV ce qu’elle pensait de sa façon d’agir. Sur un ton vif, elle lui reprocha de se mêler de ce qui ne la regardait pas, ajoutant « qu’elle
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