Dans l'intimité des reines et des favorites
vingt-huit ans. Aussitôt, oubliant la Ligue, M. de Mayenne et même le trône de France, il lui fit comprendre en termes non voilés « la vivacité de ses sentiments ».
La dame sourit et demanda au roi de souper avec elle. Après le dîner, tout le monde alla se coucher. Henri IV , qui se voyait déjà dans le lit de M me de Guecherville, attendit quelques instants et, lorsque tout sembla dormir au château, se dirigea sur la pointe des pieds jusqu’à la chambre de son hôtesse. Doucement, il ouvrit la porte et demeura ébahi : la pièce était vide…
La dame, effarouchée et craignant pour sa vertu, était partie précipitamment en carrosse.
Il laissa un mot pour lui dire sa déception et ses espoirs. Elle lui répondit joliment : Je suis trop pauvre pour être votre femme et de trop bonne maison pour être votre maîtresse. Point découragé, il revint plusieurs fois à la charge sans obtenir de meilleurs résultats. Deux mois plus tard, le désir de cette belle Normande le tourmentait tellement qu’en pleine bataille, au moment d’entreprendre le siège de Saint-Denis, il lui écrivit une lettre pressante. La voici. Elle prouve à quel point l’amour demeurait la préoccupation dominante du Béarnais, en toutes occasions.
Après avoir tourné autour du pot que vous voudrez, si faut-il venir à ce point, qu’Antoinette confesse avoir de l’amour pour Henry. Ma maîtresse, mon corps commence à avoir de la santé, mais mon âme ne peut sortir d’affliction, que n’ayez franchi ce saut. Puisqu’avez l’assurance de mes paroles, quelle difficulté combat votre résolution ? Qui l’empêche de me rendre heureux ? Ma fidélité mérite que vous ôtiez tous obstacles. Faites-le donc, mon cœur ; et faisons comme par gageure à qui se rendra plus de témoignage d’une vraie et fidèle amour. Si j’use de termes trop familiers avec vous, et qu’ils vous offensent, mandez-le-moi, et me le pardonnez en même temps. Désirant établir avec vous une familiarité éternelle, je me sers des termes que j’y estime les plus propres. Je ne sais quand je serai si heureux de vous voir. Nous assiégeons Saint-Denis anuit (cette nuit), qui m’attachera pour quelque temps plus étroitement à l’armée. Vous eussiez fait une œuvre plus pie d’envoyer ici votre amour en pèlerinage que d’aller par ce chaud, à pied, où vous avez été. Jésus ! que je l’eusse bien reçue. Si le loisir me le permettait, je vous ferais un discours d’une feuille de papier, du traitement que je lui eusse fait…
Mon tout, aimez-moi comme celui qui vous adorera jusqu’au tombeau.
Sur cette vérité, je baise un million de fois vos blanches mains. Ce 28 e mai.
Henry .
Les lettres enflammées qu’il envoyait à M me de Guecherville n’empêchaient pas Henri IV de s’intéresser bien entendu à toutes les jolies filles qu’il rencontrait [96] .
Au siège de Pontoise, il avait installé son camp près d’un couvent et les nonnes eurent beaucoup à souffrir de ce voisinage. D’autant que, l’exemple venant de haut, la plupart des officiers et même des soldats imitèrent le roi et « cajolèrent les religieuses avec tant de scandale qu’on nommait l’abbaye tantôt le Magasin des Engins de l’Armée, tantôt le Magasin des V… de l’Armée » [97] . Le passage des troupes royales laissa même plus qu’un mauvais souvenir aux religieuses, puisqu’un chroniqueur nous apprend que « huit d’entre elles attrapèrent le mal de Naples »…
À la fin du mois de mai, le bon roi Henri vint mettre le siège devant Paris. Il espérait avoir la capitale par la famine. Les habitants résistèrent héroïquement, mangèrent les chiens, les chats, les souris, le suif des chandelles et même du cuir… Quand il n’y eut plus rien, on tenta de faire du pain avec de l’ardoise pilée. Le résultat ayant été affligeant, quelqu’un eut l’horrible idée de se servir des os des morts pour en faire de la farine ; les étranges gâteaux qu’on parvint à confectionner avec cette poudre étaient immangeables [98] . Alors les Parisiens commencèrent à se regarder avec des yeux brillants et certains devinrent anthropophages…
Un chroniqueur nous dit, en effet, que « les dix derniers jours du siège on vit de pauvres gens réduits à manger des chiens morts tout crus dans la rue et, ce qu’on ne peut réciter sans horreur, les lansquenets mourant de faim courir après des enfants et
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