Dans l'intimité des reines et des favorites
que par multiplicité de prises de villes, quantité de combats, signalées victoires et grande effusion de sang, au lieu que par l’autre voie, qui est de vous accommoder touchant la religion, à la volonté du plus grand nombre de vos sujets, vous ne rencontrerez, de peines, et difficultés en ce monde, mais pour l’autre, je ne vous en responds pas… De vous conseiller d’aller à la messe, c’est chose que vous ne devez pas attendre de moi, estant de la religion [118] ; mais bien vous dirai-je que c’est là le plus prompt et le plus facile moyen pour renverser tous les monopoles, et pour faire aller en fumée tous les plus malins projets…
Cette seconde lettre ébranla fort le roi, mais ne parvint pas encore à le décider. Il éprouvait quelques scrupules à abandonner ses camarades de combat, ses chers huguenots qui l’avaient suivi partout, et qui s’étaient ruinés pour lui.
C’est alors que Gabrielle intervint.
Depuis quelque temps, la favorite, qui pensait sérieusement à se faire épouser, savait que seul le pape pouvait casser le mariage du roi et de Margot. Elle avait donc décidé de pousser Henri IV à devenir catholique. Un soir, alors qu’il l’entretenait de ses soucis, selon son habitude [119] , elle lui parla.
La crainte de ne jamais connaître la vie luxueuse du Louvre la rendit éloquente et elle trouva des arguments propres à émouvoir son amant. Elle aussi lui fit entrevoir, nous dit Mézeray, « la misère du peuple et la perspective de passer le reste de ses jours les armes sur le dos, dans les fatigues, dans le tracas, le hasard, les embûches, loin du repos et des douceurs de la vie » [120] .
Puis elle usa de tous les moyens dont dispose une femme aimée, et réussit là où les conseillers, le marquis d’O et même Sully avaient échoué [121] .
Le 17 mai, Henri IV fit savoir à son entourage qu’il désirait se convertir.
Des négociations furent ouvertes immédiatement entre du Plessis Mornay, représentant du roi, et d’éminents prélats. Elles durèrent deux mois pendant lesquels Henri IV , qui était sincèrement attaché à sa religion, vécut des moments pénibles. Enfin, Gabrielle fut si persuasive, si douce, si caressante, qu’il se rendit à Saint-Denis, d’où il lui écrivit, le 23 juillet, cette lettre célèbre :
J’arrivai arsoir de bonne heure et fut importuné de Dieu-gards jusques à mon coucher. Nous croyons la trêve et qu’elle se doit conclure ce jourd’hui. Pour moi je suis, à l’endroit des Ligueurs, de l’ordre de saint Thomas. Je commence ce matin à parler aux évêques. Outre ceux que je vous mandai hier pour escorte, je vous envoie cinquante arquebusiers qui valent bien des cuirasses. L’espérance que j’ai de vous voir demain retient ma main de vous faire plus long discours. Ce sera dimanche que je ferai le saut périlleux. À l’heure que je vous écris, j’ai cent importuns sur les épaules, qui me feront haïr Saint-Denis comme vous faites Mantes [122] . Bonjour, mon cœur, venez demain de bonne heure, car il me semble déjà qu’il y a un an que je ne vous ai vue. Je baise un million de fois les belles mains de mon ange et la bouche de ma chère maîtresse. Ce 23 juillet.
L’après-midi eut lieu une conférence très importante au cours de laquelle le roi posa aux théologiens de nombreuses questions sur les dogmes, la Vierge et le purgatoire. Après cinq heures de débats, blême, un peu haletant, il finit par se rendre et déclara qu’il était suffisamment instruit pour devenir catholique :
— Je mets aujourd’hui mon âme entre vos mains, dit-il, extrêmement ému, je vous prie, prenez-y garde, car là où vous me faites entrer, je n’en sortirai que par la mort, et cela, je vous le jure et proteste.
« Et ce disant, ajoute L’Estoile qui rapporte ces propos, les larmes lui sortaient des yeux [123] . »
En apprenant la décision du roi, des centaines de Parisiens vinrent à Saint-Denis pour le féliciter et l’acclamer. Mais il ne reçut personne, et demeura enfermé dans une chambre avec Gabrielle qui venait d’arriver…
La cérémonie d’abjuration eut lieu le dimanche 25 juillet. Dès l’aube, le peuple de Paris encombrait les rues tendues de tapisseries et jonchées de fleurs. Vers huit heures, précédé d’un régiment de Suisses et de douze trompettes, Henri IV parut, vêtu de satin blanc. Il portait un chapeau noir.
Alors un grand cri
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