Dans l'intimité des reines et des favorites
ville. Le roi, que ces refus firent entrer dans quelque soupçon, se mit en devoir d’enfoncer la porte, quoique M me Gabrielle, pour l’en empêcher, se plaignît que le bruit lui faisait mal à la tête. Le roi, qui voulait absolument s’éclaircir de ce doute, feignit de ne pas entendre et continua toujours de donner des coups de pied dans la porte. Bellegarde, voyant qu’il allait bientôt être forcé dans son asile, crut devoir tout hasarder pour se tirer d’un si mauvais pas et, comme il ne pouvait s’échapper que par la fenêtre, il l’ouvrit et sauta dans le jardin, quoique le saut fût un peu rude à cause de la grande hauteur. La fortune lui fut favorable et il ne se fit point de mal, soit que la terre fût humide, ou que sa disposition eût rendu sa chute moins dangereuse.
« Arphure, qui était en sentinelle pour observer ce qu’il deviendrait, ne l’eut pas plus tôt vu sauter qu’elle revint, faisant l’empressée, et dit pour s’excuser qu’elle n’avait pas cru qu’on pût avoir besoin d’elle. Cette adroite confidente ouvrit incontinent le cabinet et donna au roi les confitures qu’il demandait. Ce prince, surpris de n’y trouver personne, s’imagina que Bellegarde était devenu invisible, et M me Gabrielle, que son étonnement avait rendue hardie, lui fit mille reproches injurieux. Elle lui dit qu’apparemment son amour commençait à faiblir et qu’il ne cherchait qu’un prétexte pour rompre avec elle, mais qu’elle ne lui donnerait pas le loisir de quitter le premier, étant absolument résolue de se retirer auprès de son mari [114] . »
Effrayé par cette menace, le roi se jeta à ses pieds et lui demanda pardon. Après quoi, il se recoucha et fit en sorte qu’elle oubliât l’incident…
Cette aventure donna une confiance exagérée à Bellegarde qui continua à rendre de fréquentes visites à Gabrielle.
L’une d’elles, la dernière d’ailleurs, se termina de façon burlesque. Le Grand Écuyer se trouvait dans la chambre de la favorite lorsque le pas vif du roi retentit dans le couloir. Apeuré, il se glissa sous le lit.
Henri IV entra, se dévêtit, se coucha avec Gabrielle et, lui ayant montré son estime, eut faim comme d’habitude. Il appela Arphure et demanda des confitures. Pendant qu’il les mangeait, un petit craquement insolite se fit entendre. C’était le pauvre Bellegarde, à demi ankylosé, qui essayait de changer de position. Henri IV regarda Gabrielle et vit une lueur d’angoisse dans ses yeux. Comprenant que son rival était là, il emplit une assiette de confitures et la tendit sous le lit :
— Tenez, dit-il, il faut que tout le monde vive !…
Puis, laissant Gabrielle interdite et Bellegarde rouge de honte, il s’en alla en riant aux éclats.
Le Grand Écuyer quitta Saint-Denis sur-le-champ et le roi s’en crut débarrassé. Mais, quelques jours plus tard, il intercepta une lettre que sa maîtresse écrivait à Bellegarde et constata que les sentiments de Gabrielle pour Roger étaient beaucoup plus vifs qu’il ne le pensait. Pour la première fois de sa vie, il devint jaloux. Se désintéressant de la politique au moment même où la Ligue essayait de faire élire un roi, ce qui l’eût à tout jamais écarté du trône, il s’enferma dans sa chambre et rédigea l’étonnante lettre que voici :
Il n’y a rien, ma chère maîtresse, qui ne continue plus mes soupçons, ni qui ne les puisse plus augmenter, que la façon dont vous procédez à mon endroit. Puisqu’il vous plaît me commander de les bannir du tout, je le veux, mais vous ne trouverez mauvais que, à cœur ouvert, je vous en dise les moyens, puisque, quelques attaques que je vous aie données assez découvertement, vous avez fait semblant de ne les point entendre.
Vous savez combien j’arrivai offensé en votre présence du voyage de mon compétiteur. La force, que vos yeux eurent sur moi, vous sauva la moitié de mes plaintes, vous me satisfîtes de bouche, non de cœur, comme il y parut. Mais si j’eusse su ce que j’ai appris, depuis être à Saint-Denis, dudit voyage, je ne vous eusse vue et eusse rompu tout à plat. Je brûlerais plutôt ma main qu’elle l’écrivît, et couperais plutôt ma langue qu’elle le dît jamais qu’à vous.
Vous me mandez que vous me tiendrez les promesses que vous me fîtes dernièrement. Comme le vieux Testament a été aboli par la venue de Notre-Seigneur, aussi vos promesses l’ont été par la
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