Dans l'intimité des reines et des favorites
retentit, un cri qui détruisait tous les espoirs des Ligueurs, des Espagnols et des Lorrains :
— Vive le roi !
Sur le seuil de l’église, l’archevêque de Bourges attendait Henri IV :
— Qui êtes-vous ? demanda-t-il.
— Je suis le roi !
— Que demandez-vous ?
— Je demande à être reçu au giron de l’Église catholique, apostolique et romaine.
— Le voulez-vous sincèrement ?
— Oui, je le veux et le désire.
Sur les marches de l’église, les gens se pressaient. Au premier rang, le roi aperçut Gabrielle et lui sourit tendrement. Puis il s’agenouilla et fit sa profession de foi en ces termes :
« Je proteste et jure devant la face du Tout-Puissant de vivre et de mourir en la Religion Catholique, Apostolique et Romaine, de la protéger et défendre envers tous au péril de mon sang et de ma vie, renonçant à toute hérésie contraire à icelle. »
Après quoi, il fut autorisé à entrer dans l’église, où il se confessa et entendit la messe.
À la sortie, le peuple au comble de l’enthousiasme l’acclama et lui jeta des fleurs. En échange, il voulut qu’on lançât à ces braves gens le contenu d’une énorme bourse d’argent.
Il y eut alors une ruée dont il profita pour regagner son logis avec Gabrielle. Celle-ci, heureuse d’avoir réussi, se montra câline, caressante, un peu perverse selon son habitude, et le roi acheva la journée dans ses bras. Les Ligueurs, dont la mauvaise humeur était compréhensible, s’en offusquèrent naturellement. Le soir même, le moine Jean Boucher insultait le roi, en chaire de Saint-Merri, et se déchaînait « contre l’impertinence de faire coucher une femme de la réputation que l’on sait dans le monastère de Saint-Denis, chose défendue par les secrets Conciles, avec laquelle femme le roi commet publiquement et au su de tout le monde un ordinaire et double adultère, lui marié et elle mariée. »
Mais Henri IV pouvait s’attarder dans les bras de Gabrielle et en savourer la douceur sans remords. En donnant à sa favorite la plus grande des preuves d’amour, il venait de sauver la France de la tutelle espagnole !…
En apprenant la conversion du roi, les Parisiens furent bouleversés. Ils se rendirent en foule à Saint-Denis, au point, nous dit Sully, « qu’on ne pouvait quasi tourner par les rues » et que les étudiants profitèrent de cette cohue pour se livrer « à de grosses obscénités à l’égard des jeunes filles, dont plusieurs rentrèrent chez elle avec le corbillon garni »…
Ces braves gens voulaient naturellement voir le roi de près, et leur curiosité causait bien des embarras. Un soir, une centaine de Parisiens se trouvaient massés contre la porte de la maison où dînait Henri IV . Tout le monde poussait, espérant l’apercevoir par une petite fenêtre, quand, soudain, le vantail céda. Perdant l’équilibre, le groupe entier déferla dans la pièce comme une grosse vague et renversa la table avec toutes les victuailles.
Henri IV , en voyant ses gentils sujets à plat ventre dans les compotes, les sauces et les tartelettes, éclata de rire, bien qu’il eût reçu nous dit-on « un plat de petits pruneaux sur son pourpoint ». De tels incidents étaient d’ailleurs loin de lui déplaire car il était « très accostable », selon le mot des auteurs de la Satire Ménippée, et avait un sens aigu de la publicité. On en aura une preuve par cette anecdote que nous raconte L’Estoile : « Le roi, jouant à la paume dans Saint-Denis, ayant avisé tout plein de femmes de Paris sous la galerie, qui avoient envie de le voir et ne pouvoient à cause de ses archers, commanda auxdits archers de se retirer pour leur faire place, afin qu’elles le pussent voir à leur aise… »
Les propos que tinrent alors ces femmes sont d’ailleurs extrêmement savoureux.
Les voici tels que nous les rapporte le chroniqueur : « L’une d’elles commença à dire à une voisine : “Ma commère, est-ce là le roi dont on parle tant et qu’on veut nous bailler ? – Oui, dit l’autre, c’est le roi. – Il est bien plus beau que le nostre de Paris, ajouta la première, il a le nez bien plus grand.” »
On voit à quoi tiennent parfois les sentiments politiques de certaines femmes…
Cet enthousiasme populaire était naturellement combattu par les Ligueurs qui, ne pouvant plus attaquer le roi sur le chapitre de la religion, se déchaînaient contre Gabrielle
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