Dans l'intimité des reines et des favorites
et faisaient courir des pamphlets dans lesquels ils reprochaient à la favorite de conduire le Béarnais à sa perte par une luxure effrénée. On aura une idée de cette littérature par le quatrain suivant :
Gabriel vint jadis à la Vierge annoncer
Que le Sauveur du monde aurait naissance d’elle,
Mais aujourd’hui le roi, par une Gabrielle,
A son propre salut a voulu renoncer.
Pour couper court à ces attaques, Henri IV , qui voulait profiter du mouvement d’opinion créé par sa conversion, se sépara momentanément de Gabrielle. Il l’installa à l’abbaye de Montmartre où elle fut reçue avec beaucoup d’amitié par la jeune abbesse, sa cousine. Le soir, après le souper, les deux femmes se retrouvaient dans le jardin qui dominait la capitale, et, tout en faisant des bouquets pour la chapelle de la Vierge, s’entretenaient longuement du roi. Ce sujet leur était cher à toutes deux, puisque l’abbesse, qui s’appelait Claude de Beauvillier, avait été, trois ans auparavant, on s’en souvient, la maîtresse de Henri IV .
De temps en temps, le Béarnais venait à Montmartre et restait quelques heures avec Gabrielle dans le pavillon particulier qui avait été mis à sa disposition. Après lui avoir prouvé sur le lit ses sentiments distingués, il la mettait au courant des événements politiques, annonçant à chaque fois la reddition de plusieurs villes et la soumission de nombreux Ligueurs. Pourtant, Paris, dont ils voyaient les mille clochetons scintiller à leurs pieds dans la lumière douce de l’été 1593, Paris, tenu en main par M. de Mayenne lui-même, refusait de se rendre, et Gabrielle s’en désolait. Un soir, elle dit :
— Et si vous ameniez le gouverneur de Paris à trahir la Ligue ?
Le roi, qui ne pensait qu’aux moyens militaires de prendre la capitale, demeura muet. La favorite reprit :
— Croyez-moi, tout ne se fait pas avec des canons et des cavaliers. Comment ne le savez-vous pas, vous qui avez vécu avec tant de femmes ?
Elle ajouta en riant :
— Et puis, il faut bien que les ambitieux et les cupides servent à quelque chose…
Henri IV , séduit par cette idée, promit d’envoyer quelques agents secrets à M. de Belin, gouverneur de Paris, avec des propositions alléchantes ; puis il se rendit à Saint-Denis pour prendre immédiatement toutes les dispositions nécessaires.
Quand il fut parti, Gabrielle alla s’accouder à la fenêtre et, longtemps, dans le soir tiède, rêva les yeux fixés sur le Louvre.
Les pourparlers avec M. de Belin furent rapides. Le gouverneur, tenté par ce que lui offrait Henri IV , accepta sans discuter de livrer la ville en faisant ouvrir nuitamment certaines portes.
Le roi mit au point avec ses conseillers – et avec Gabrielle qu’il voyait presque tous les jours – un projet hardi : il s’agissait de faire sortir l’armée de Mayenne sur l’ordre de Belin et d’entrer quelques heures plus tard dans la capitale en toute sécurité.
En attendant qu’une occasion permît de réaliser ce plan, le Béarnais et ses amis cessèrent à peu près toute activité. Naïfs, les Ligueurs crurent avoir gagné la partie et, dans leur enthousiasme, se laissèrent aller aux plaisirs vulgaires de l’insulte. Le roi et la favorite furent traités de « démons lubriques » et de « bêtes chaudes »…
Or ces appellations qui n’émouvaient plus personne troublèrent un Orléanais illuminé et pudibond qui se nommait Pierre Barrière. Fort dévot, il s’imagina que le ciel l’avait désigné pour débarrasser la France de ce roi qui entendait la messe et commettait l’adultère. Il acheta un grand couteau et se dirigea vers la capitale provisoire de la France. En traversant Paris, il eut soudain quelques doutes sur le bien-fondé de sa mission. Voulant en avoir le cœur net, il alla trouver le curé de Saint-André-des-Arts et lui dévoila son projet :
— Qu’est-ce que vous en pensez ?
Le curé était Ligueur, il applaudit :
— C’est une très bonne idée, mon petit. Ce roi se conduit fort mal avec une femme mariée. Il faut le tuer.
L’âme en paix, Barrière partit pour Saint-Denis. Là, il chercha un complice qui, bien entendu, le dénonça, et il fut arrêté. Le lendemain, les juges le condamnaient à avoir « le poing brûlé, les bras et les jambes rompus, puis à être mis sur la roue et étranglé ».
Il n’en demandait pas tant.
Gabrielle eut froid dans le
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