Dans l'intimité des reines et des favorites
lettre que vous écrivîtes à Compiègne. Il ne faut plus parler de : « Je ferai », il faut dire : « Je fais. » Résolvez-vous donc, ma maîtresse, de n’avoir qu’un serviteur. Il est en vous de me changer, il est en vous de m’obliger. Vous me feriez tort si vous croyiez que rien qui soit au monde vous puisse servir avec tant d’amour que moi. Nul ne peut aussi égaler ma fidélité. Si j’ai commis quelque indiscrétion [115] , quelle folie ne fait pas commettre la jalousie ? Prenez-vous-en donc à vous. Jamais maîtresse ne m’en avait donné ; c’est pourquoi je ne connaissais rien de si discret que moi. Feuille-Morte [116] a bien fait connaître, en craignant les Ligueurs, qu’il n’était ni amoureux, ni à moi.
J’ai telle envie de vous voir que je voudrais, pour l’abréviation de quatre ans de mon âge, le pouvoir faire aussitôt que cette lettre, que je finis par vous baiser un million de fois les mains…
Cette lettre produisit une telle impression sur Gabrielle d’Estrées qu’elle rompit immédiatement avec Bellegarde ; lequel se consola en devenant l’amant de Marguerite de Guise et de sa mère, la belle duchesse de Nevers, veuve du duc de Guise, assassiné à Blois.
Ainsi le Grand Écuyer rendait-il un hommage inattendu à Gabrielle, en lui montrant qu’il fallait deux femmes pour la remplacer…
12
Gabrielle d’Estrées pousse Henri IV à abjurer
Il n’y a aucune révolution dans les empires
et dans les familles où les femmes ne soient
entrées comme cause, comme objet ou comme
moyen. C’est à elles que le Destin a dit :
Imperum sine fine dedi.
Condorcet
Au début de 1593, le marquis d’O écrivait avec désinvolture à Henri IV :
Sire, il ne faut plus tortignonner, vous avez dans huit jours un roi élu en France, le parti des princes catholiques, le pape, le roi d’Espagne, l’empereur, le duc de Savoie et tout ce que vous aviez déjà d’ennemis sur les bras. Et il vous faut soutenir tout cela avec vos misérables huguenots, si vous ne prenez une prompte et galante résolution d’ouïr une messe… Si vous estiez quelque prince fort dévotieux, je craindrois de vous tenir ce langage. Mais vous vivez trop en bon compagnon, pour que nous vous soupçonnions de faire tout par conscience. Craignez-vous d’offenser les huguenots qui sont toujours assez contents des rois, quand ils ont liberté de conscience, et qui, quand vous leur feriez du mal, vous mettront en leurs prières ? Avisez à choisir, ou de complaire à vos prophètes de Gascogne et retourner courir le guilledou, en nous faisant jouer à sauve-qui-peut, ou à craindre la Ligue qui ne craint rien de vous tant que vostre conversion, pour estouffer le Tiers-Parti à sa naissance et estre, dans un mois, roi absolu de toute la France, gagnant plus en une heure de messe que vous ne feriez en vingt batailles gagnées et en vingt années de périls et de labeurs.
Le marquis d’O avait raison, la situation était extrêmement critique pour le Béarnais qui, depuis deux ans, avait perdu un peu trop de temps dans le lit des dames.
Mayenne et les Ligueurs venaient de convoquer les États Généraux à Paris pour élire un roi [117] et le peuple, fatigué de la guerre civile, semblait disposé à accepter cette solution qui dépossédait Henri IV de sa couronne.
En outre, depuis quelques jours, le roi d’Espagne, Philippe II , qui avait déjà réussi à faire entrer une garnison dans Paris, essayait de faire proclamer reine de France sa fille Isabelle, petite-fille de Henri II par sa mère.
Il n’y avait donc pas de temps à perdre. Pourtant, le roi hésitait.
Alors Sully s’en mêla : Vous ne parviendrez jamais à l’entière possession et paisible jouissance de vostre royaume , lui écrivit-il, que par deux seuls expédients et moyens : par le premier desquels, qui est la force et les armes, il vous faudra user de fortes résolutions, sévérités, rigueurs et violences, qui sont toutes procédures entièrement contraires à vostre humeur et inclination, et vous faudra passer par une milliasse de difficultés, fatigues, peines, ennuis, périls et travaux, avoir continuellement le cul sur la selle, le hallecret sur le dos, le casque en la teste, le pistolet au poing et l’espée en la main, mais, qui plus est, dire adieu repos, plaisirs, passe-temps, amours, maîtresses, jeux, chiens, oiseaux et bastiments, car vous ne sortirez de telles affaires
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