Dans l'intimité des reines et des favorites
l’hôtel du Bouchage pour venir s’installer dans une maison sise rue Fromenteau, toute proche du palais, et un couloir secret, gardé jour et nuit par quatre gardes, permettait à Henri IV d’aller, quand il le voulait, passer quelques savoureux instants chez sa maîtresse. L’ardeur du roi était toujours aussi grande, en effet, et un chroniqueur nous dit « que le désir d’amour l’obligeait à interrompre pour une demi-heure des entretiens très importants ».
Pourtant, si l’on en croit la rumeur publique du temps, cette virilité n’était pas suffisante pour apaiser les sens exigeants de Gabrielle que l’on accusait d’avoir des bontés pour Claude Vallon, son écuyer, et le quatrain suivant circulait ouvertement dans la capitale :
MADAME LA MARQUISE À SA TANTE
Mon Dieu ! que j’ai eu peur – n’en dites rien, ma tante, –
Que le roi n’aperçût Vallon dessus mon lit.
Puisque lui seul [149] ne fait que m’ouvrir l’appétit,
Il me faut bien chercher ailleurs qui me contente [150] .
Ces pasquins ne troublaient pas le roi qui, depuis le mariage de M. de Bellegarde, seul rival à ses yeux, avait une confiance aveugle en la fidélité de la favorite.
Rome lui causait bien d’autres soucis. Depuis des mois, et malgré l’action sournoise de cardinaux amis de la France, Clément VIII refusait de prononcer l’annulation du mariage royal.
Le Saint-Père, parfaitement renseigné par Alexandre de Médicis, cardinal de Florence [151] , son légat à Paris, savait que Henri IV voulait épouser Gabrielle, et ce projet lui déplaisait. Il pensait, avec quelque raison, que le comportement du roi de France laissait un peu à désirer et se refusait à s’associer au scandale en permettant à la concubine de prendre la place de l’épouse légitime. Il faut dire que le cardinal de Florence ne faisait rien pour rendre la favorite sympathique au pape. Au contraire. Il écrivait par exemple : On dit qu’elle accapare tout l’argent du roi, qui devrait servir à d’autres fins, qu’elle vend la justice et que c’est par sa faute que le roi n’a point de succession légitime ! ou encore : La Gabrielle s’est vengée et continue à se venger en empêchant les réformes et en soutenant certains personnages afin qu’on n’examine pas leurs comptes , etc.
Le fait que la morale chrétienne se trouvât bafouée à la cour de France ne motivait pas entièrement l’hostilité du saint prêtre à l’égard de Gabrielle. Il ne la motivait même pas du tout. Le légat avait d’autres raisons plus personnelles de décrier la favorite ; depuis longtemps, il désirait faire épouser à Henri IV sa cousine Marie de Médicis…
Cette adolescente de dix-sept ans était une charmante orpheline au menton un peu lourd que son oncle Ferdinand de Médicis, grand-duc de Toscane, avait recueillie et considérait comme sa fille.
Depuis quelque temps, de nombreux agents secrets, envoyés en France par Ferdinand, étaient chargés de vanter les qualités de la jeune Florentine et de créer ainsi un mouvement d’opinion en sa faveur.
Ces personnages, bien entendu, faisaient surveiller étroitement Gabrielle et payaient tous ceux qui pouvaient leur apporter des renseignements croustillants sur sa conduite. L’un d’eux, Bonciani, put ainsi envoyer en Toscane la lettre suivante : On parle actuellement d’une chose de très grande importance quant au dévergondage de Mme de Montceaux : à savoir qu’un serviteur du roi, qui a épousé une femme de chambre de cette dame, dernièrement, lorsque Sa Majesté alla à Fontainebleau, lui a dit qu’étant son serviteur et vassal il se trouvait plus obligé envers Sa Majesté qu’envers Mme de Montceaux. Pour cette raison, il lui affirmait donc, comme chose absolument certaine pour la tenir de sa femme, que ni le fils, ni la fille que Sa Majesté croyait être siens n’étaient en réalité de lui, et que sa dite femme avait été contrainte par Mme de Montceaux d’introduire parfois dans sa chambre deux hommes dans la même nuit. Sa Majesté s’en ouvrit immédiatement à Mme de Montceaux qui, à cette nouvelle, s’évanouit. Elle nia ensuite de la façon la plus formelle les faits et elle insista pour qu’on recherchât la vérité. Mais celui qui a fait ces révélations, et qui a été mis en prison, les maintient avec une telle obstination qu’il s’offre à les prouver, même sur sa tête. Parce que cela est assez
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