Dans l'intimité des reines et des favorites
le mari entrait. Après avoir embrassé sa femme, il se coucha et se montra « galant compagnon ». Soudain, dans la chambre, éclata un énorme éternuement, bientôt suivi d’un deuxième, d’un troisième, d’un quatrième et d’un cinquième…
C’étaient les cinq gardes qui s’enrhumaient.
Fort intrigué, M. de Vitry regarda sous le lit, découvrit les amants de sa femme et tout se termina dans un grand bruit de dispute, de coups, de larmes et de reniflements.
Depuis, on n’appela plus M me de Vitry que M me des Cinq-Gardes…
14
Qui a empoisonné Gabrielle d’Estrées ?
La favorite embarrassait tout le monde
– même le Saint-Siège.
Léonce Perret
Pendant tout le printemps de 1598, Henri IV eut l’âme d’un collégien. Délaissant les affaires de l’État, il se promenait en rêvant dans la forêt de Fontainebleau et dessinait un peu partout un grand S coupé d’un trait, monogramme qui était censé représenter sous forme de rébus le nom de la favorite [146] , après quoi il rentrait dans son cabinet, pour y travailler à une chanson d’amour qu’il composait dans le goût du temps.
Lorsqu’elle fut terminée, il s’en montra satisfait et l’envoya à sa « fiancée », avec un petit mot : Ces vers vous représenteront mieux ma condition et plus agréablement que ne le ferait la prose. Je les ai dictés, non arrangés.
Il s’agissait de Charmante Gabrielle , chanson à la fois mièvre et solennelle, qui devait avoir, pour des raisons incompréhensibles, un extraordinaire succès pendant près de trois cents ans [147] …
En voici un extrait :
Charmante Gabrielle,
Percé de mille dards,
Quand la gloire m’appelle
Sous les drapeaux de Mars,
Cruelle départie,
Malheureux jour !
Que ne suis-je sans vie
Ou sans amour !
L’amour sans nulle peine
M’a, par vos doux regards,
Comme un grand capitaine,
Mis sous vos étendards.
Cruelle départie… (etc.)
Je n’ai pu dans la guerre
Qu’un royaume gagner ;
Mais sur toute la terre
Vos yeux doivent régner.
Cruelle départie… (etc.)
Le dernier couplet contenait une allusion très claire au mariage projeté :
Partagez ma couronne,
Le prix de ma valeur ;
Je la tiens de Bellone,
Tenez-la de mon cœur.
Cruelle départie… (etc.) [148] .
En recevant ces vers, la duchesse de Beaufort comprit qu’elle touchait enfin au but.
Le roi lui avait bien souvent promis de l’épouser, mais jamais encore il n’avait exprimé aussi clairement son intention de la faire monter sur le trône.
Elle en fut bouleversé au point que « son maintien ordinaire changea ». À partir de ce jour, elle ne se déplaça plus que lentement, le buste raide, les traits figés et la tête aussi droite que si elle eût déjà supporté le poids d’une lourde couronne.
Oui, elle était presque reine et l’Europe entière le sut bientôt. Les dames de la cour lui rendirent les honneurs dus à une souveraine, les gentilshommes baisèrent le bas de sa robe, elle reçut les ambassadeurs et assista aux conseils privés du roi où, comme partout, elle sut montrer une aimable autorité. Ces réunions, au cours desquelles se décidait l’avenir du pays, ne l’intimidaient nullement. Elle y prenait la parole, discutait des impôts ou de l’attribution d’une charge militaire, sans cesser d’être coquette.
Parfois, nous dit Pierre de l’Estoile, elle se penchait vers le roi et lui tendait ses lèvres…
Ce qui choquait les membres de l’assemblée, mais donnait aux débats un ton bien agréable…
La puissance de la duchesse de Beaufort fut dès lors immense, incalculable. Source et dispensatrice de toutes les faveurs, elle agissait en maîtresse absolue, au grand déplaisir des familiers du roi qui songeaient avec angoisse au moment où elle serait vraiment la reine. Henri IV , il est vrai, se montrait fort maladroit. Non seulement, nous dit Cheverny dans ses Mémoires , « il ne faisait plus aucune grâce, il ne donnait aucune charge ni aucun gouvernement, si ce n’est à la prière de la duchesse, mais encore il voulait qu’on la remerciât des faveurs qu’il accordait et que ce fût à elle qu’on en reportât la reconnaissance… ».
Presque reine, Gabrielle se trouvait à tous points de vue sur les marches du trône.
Elle n’habitait pas encore au Louvre, bien que le roi eût mis à sa disposition un grand appartement, mais elle avait quitté
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