Dans l'intimité des reines et des favorites
Henri IV qui retomba dans un profond abattement et finit par se laisser ramener à Fontainebleau, sans soupçonner, bien sûr, qu’à Paris sa bien-aimée respirait encore…
Qui donc avait eu l’idée de faire ce mensonge au roi ? Un curieux personnage qui n’avait pas quitté le chevet de la favorite et qui s’appelait Fouquet la Varenne. C’était un ancien cuisinier devenu ambassadeur et homme de confiance de Henri IV .
Au début de l’après-midi, il était allé trouver Ornano et Bassompierre et leur avait dit que la duchesse était morte.
— Allez immédiatement au-devant de Sa Majesté, avait-il ajouté, annoncez-lui la nouvelle et faites en sorte qu’elle ne vienne pas à Paris.
Que craignait-il donc ?
Avait-il peur que Gabrielle pût encore parler au roi et lui fit des révélations sur la maladie qui l’emportait ?
On pourrait le croire. Car ce n’est pas sans une raison très grave qu’on empêche un homme d’embrasser une dernière fois la femme qu’il aime : surtout quand cet homme est le roi…
Quoi qu’il en soit, l’attitude de Fouquet la Varenne semble bien étrange. Mais nous verrons par la suite qu’il n’était pas le seul, en cette fin de semaine sainte de 1599, à se conduire bizarrement.
Dans le courant de l’après-midi, la foule qui stationnait devant l’hôtel de M me de Sourdis s’aperçut tout à coup qu’un valet avait oublié de fermer la porte ; aussitôt, les Parisiens envahirent les appartements, pénétrèrent dans la chambre où Gabrielle agonisait, seule, abandonnée de tous, et se bousculèrent autour du lit, cherchant à apercevoir la peau devenue noire et le visage déformé de celle qu’ils haïssaient. Certains ne se gênaient pas pour faire des réflexions grossières ; d’autres dérobaient des bibelots. C’est ainsi que M me de Martigues, qui a réussi à se faufiler au premier rang, se pencha sur Gabrielle, lui prit les mains en pleurant, lui retira habilement ses bagues et les mêla à son chapelet…
À six heures du soir, on chassa tous les badauds et La Rivière, médecin du roi, vint examiner la duchesse. Il constata qu’elle était dans le coma, se releva aussitôt et murmura :
— Hic est manus Domini [156] tome 3.htm - bookmark109 .
Puis il se retira.
À l’aube du Samedi saint, 10 avril 1599, ainsi que l’avait prédit le devin, Gabrielle d’Estrées, marquise de Montceaux, duchesse de Beaufort et maîtresse du roi de France, rendit l’esprit à quelques pas du Louvre où l’attendait la chambre des reines…
Elle avait vingt-six ans.
Or, à ce moment même, il se passait, à Rome, une scène étrange. Le pape Clément VIII qui, depuis quelques semaines, hésitait à annuler le mariage du roi de France, dans la crainte que celui-ci n’épousât aussitôt sa maîtresse, sortit de sa chapelle privée et dit à ses familiers, avec un gros soupir de soulagement :
— Dieu y a pourvu !
Phrase singulière, on le reconnaîtra.
La mort de cette jeune femme rayonnante de santé était tellement inexplicable que le roi ordonna une autopsie qui eut lieu dans la soirée du samedi. Après avoir retiré « par pièces et lopins » l’enfant que portait Gabrielle, les médecins constatèrent qu’elle avait « le poumon et le foie gâtés, une pierre en pointe dans le rognon, le cerveau offensé », et conclurent à l’empoisonnement.
Le peuple, qui a souvent du flair en ces occasions, murmura aussitôt qu’il s’agissait d’un crime politique. À la cour, des diplomates et des conseillers, qui savaient combien le grand-duc de Toscane tenait à marier sa nièce au roi de France, partageaient cette opinion. Dans une lettre chiffrée adressée au duc de Ventadour, le président Vernhyes écrivait : Ses parents et serviteurs reconnaissaient dans sa mort un coup du ciel. Mais elle est soupçonnée de poison, principalement des siens… Les médecins disent qu’un citron qu’elle mangea chez Zamet lui fit mal…
La main de Dieu ou le poison ? Il est bien difficile de se prononcer : mais il faut avouer que la disparition de Gabrielle arrangeait bien des gens : 1°Henri IV , qui regrettait de lui avoir promis le mariage ; 2°Sully, qui ne voulait pas la voir monter sur le trône ; 3°le pape, qui se trouvait délivré d’un problème embarrassant, et surtout 4°le grand-duc de Toscane à qui, un an auparavant, le chanoine Bonciani écrivait secrètement : Sans la duchesse, on
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