Dans l'ombre de la reine
d’amusantes péripéties domestiques survenues lors de réceptions raffinées ; ou des épisodes piquants impliquant des notables dont la réputation importait peu en Angleterre. Ce fut Lady Catherine, dont le vocabulaire n’incluait pas le mot « discrétion », qui remarqua un jour :
— Ursula, pourquoi ne nous racontez-vous pas de vraies histoires au sujet de Sir Thomas ? Serait-ce que votre mari et vous n’étiez pas assez haut placés pour les connaître ?
— De vraies histoires, Lady Catherine ? répétai-je d’un ton enjoué.
Nous attendions que la reine finisse de conférer avec son trésorier, William Paulet, réunies avec nos livres et nos ouvrages de couture dans une vaste salle où chacun déambulait à sa guise. L’ambassadeur d’Espagne s’y trouvait aussi, quoique hors de portée d’oreille : il bavardait par la fenêtre avec Kat Ashley.
— Oui. Sur la véritable mission de Sir Thomas à Anvers. Allez, Ursula ! Dites-nous.
— Sir Thomas est un financier, qui séjourne aux Pays-Bas afin d’obtenir des prêts pour la reine auprès des banques d’Anvers et de Bruxelles.
— Moi, j’ai ouï dire qu’il emploie n’importe quel moyen – y compris la corruption, le chantage et la fabrication d’ordres de réquisition – afin que les lingots d’or et d’argent quittent le trésor d’Anvers pour les cales de navires à destination de Londres.
— Vous en savez plus que moi, répondis-je d’un ton paisible.
— Si tout cela est vrai, voilà un comportement étrange dans un pays où il tente de nouer des liens avec de hauts personnages, riposta Lady Catherine.
— En aucune sorte, observa Lady Jane Seymour, prenant avec gentillesse l’aiguille de Catherine, afin de faire passer le fil de soie dans le chas dont il était sorti. Vous savez que la religion s’insinue partout, comme l’huile d’une fiole mal bouchée dans une sacoche de selle.
Des rires légers se firent entendre parmi les femmes. Plus prudente que Catherine, Jane s’assura d’un coup d’œil que de Quadra se trouvait encore à bonne distance avant d’ajouter :
— Les Pays-Bas sont une province espagnole, et donc d’obédience catholique. Leurs richesses constituent un butin de guerre.
— Et ce n’est ni l’heure ni le lieu pour une telle discussion, assenai-je. Vous vous plaisez trop à cancaner, Lady Catherine, quitte à en inventer la moitié.
— Tout doux, Ursula ! me reprit Lady Katherine d’un air de reproche.
— Pardonnez-moi.
À la cour, on ne prisait ni la curiosité ni les langues acerbes. En de pareils moments, Anvers et Gerald me manquaient. Gerald, qui aimait tant ma causticité et mon esprit inquisiteur…
Cependant, il importait de moucher Catherine Grey, car, bien entendu, elle disait vrai. Je déplorais d’entendre circuler à la cour tant de rumeurs sur le compte de Gresham. Certes, il pillait le trésor des Pays-Bas et, par la même occasion, en apprenait fort long sur les intentions et les ressources de Philippe d’Espagne. Des informations sur ses activités eussent intéressé au plus haut point les représentants espagnols aux Pays-Bas.
Ces activités constituaient d’autant moins un secret pour moi que Gerald y avait été mêlé de près. Pas assez haut placés pour les connaître ? Si cette remarque n’avait été destinée à me blesser, elle en aurait été comique. Mon aimable mari, au visage si avenant, possédait un talent redoutable pour découvrir le défaut de la cuirasse : qui avait des dettes, qui cachait à son nouvel employeur quelque indélicatesse envers le précédent, qui dissimulait l’existence d’une maîtresse à une épouse qu’il ne voulait pas faire souffrir ou à un riche beau-père qu’il n’osait offenser. Gerald, en fait, était un des agents recruteurs de Sir Thomas, toujours à l’affût de collaborateurs et d’espions.
Lady Katherine Knollys avait sans doute entendu ces rumeurs, elle aussi, et malgré sa réprimande elle comprenait ma brusquerie. Elle m’apaisa d’un sourire.
— Mais je ne peux vous reprocher votre discrétion, Ursula. À cet égard, vous méritez des éloges.
De Quadra et Kat Ashley approchaient. Katherine Knollys entama un sujet de conversation anodin. Catherine Grey se pencha sur son ouvrage d’un air renfrogné.
Je me remis au mien, savourant, en mon for intérieur, cette prudence nécessaire, cette méfiance envers de Quadra et ses pareils à l’expression affable et à
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