Dans l'ombre de la reine
l’ouïe toujours tendue.
« Si seulement, pensai-je, je trouvais un moyen de gagner juste un peu plus d’argent ! Avec le temps, quand j’aurais appris à vivre sans mari et sans enfant – et à ne plus être brusque et inquisitrice –, je serais très heureuse au service de la reine. »
Chaque jour la cour me paraissait plus captivante. Une vie intense palpitait dans l’air. Je la percevais dans le scintillement du fleuve qui traçait ses méandres au-delà du palais, dans le grincement des girouettes, dans les gerbes d’éclaboussures des barges colorées qui amenaient les dignitaires pour une audience, dans le choc des piques sur le sol saluant les nobles hôtes, dans le timbre des trompettes annonçant que la reine quittait ses appartements pour la salle du Conseil, l’église ou la chasse.
Par-dessus tout, je la sentais en Élisabeth. Au fil des jours, j’appris à trouver mon chemin dans le palais, et à connaître la reine au moins aussi bien que ses autres suivantes. Cependant, on avait toujours la sensation qu’il y avait davantage à apprendre, des facettes à jamais secrètes derrière ces remparts de satin, de broderies et de joyaux. En revanche, sa personnalité avait l’éclat d’une flamme. En sa compagnie, les couleurs claquaient, l’air revigorait, les mots revêtaient plus de sens. Pour grisant que ce fût, cela imposait aussi une prudence accrue.
Être à son service pouvait être épuisant. Parfois, elle sortait très tôt, prise du désir de se promener dans les jardins ou dans le parc – voire, par temps pluvieux, dans les galeries du palais. Ses femmes l’accompagnaient à ses prières, puis participaient aux leçons matinales de danse ou de musique. Étant veuve depuis peu, je ne dansais pas, néanmoins je me devais d’y assister.
Il nous fallait toujours rester à proximité, que la reine tînt conseil ou audience, qu’elle allât en carrosse pour être vue de son peuple ou qu’elle assistât à une partie de paume. Toutefois, si quelque affaire urgente se présentait, elle se consacrait aussitôt à la résoudre. Cela se produisit en plusieurs occasions pendant mes premières semaines, car la guerre en Écosse atteignait un point critique et des messagers arrivaient sans discontinuer. Alors, les membres de son entourage étaient convoqués et l’on voyait Sir William Cecil se diriger à grands pas vers la salle du Conseil.
J’appris très vite à reconnaître ceux qui comptaient. Le jeune homme en bleu azur et son sobre compagnon, que j’avais vus le premier matin, avaient des liens de parenté avec Dudley, mais je ne pus apprendre leur nom exact. Apparemment, ils n’étaient pas dignes d’intérêt. Dudley, en revanche, en suscitait beaucoup. Son teint basané lui valait d’être surnommé « le Bohémien » derrière son dos. Jamais la reine ne déployait autant d’esprit qu’en sa présence, et on les voyait souvent ensemble. Il était au cœur des rumeurs les plus folles. Son épouse ne paraissait jamais à la cour et l’on se plaisait à dire qu’il l’empoisonnait peu à peu afin d’être libre d’épouser Élisabeth.
Toutefois, il ne faisait pas partie du Conseil. Je découvris bientôt qui en était, et qui non. L’étiquette autorisait les dames d’honneur à converser avec la plupart des courtisans. En fait, je fis même mieux, car au cours des tout premiers jours je fus invitée par Cecil et son épouse, Lady Mildred, dans leurs appartements.
— Nous tenions à connaître celle que nous avons recommandée, me dit Sir Cecil.
— Votre mari servait Sir Thomas avec fidélité et, par son entremise, la reine, ajouta Lady Mildred d’un ton grave. Quant à votre mère, elle était très aimée, autrefois. On se rappelle encore la famille Faldene, à la cour, bien qu’on n’y voie plus ses membres depuis des années. Votre mère l’avait quittée longtemps avant notre arrivée, mais des courtisans plus âgés en ont gardé le souvenir.
Ils m’avaient installée sur un banc garni de coussins confortables et Sir William nous servait du vin.
Il avait une barbe blonde soignée et des yeux bleus pénétrants, séparés en permanence par un pli d’inquiétude et de concentration. La tâche de secrétaire d’État n’était pas de tout repos. Avant ce rendez-vous, je m’étais sentie intimidée à l’idée de le rencontrer mais, étrangement, c’était sa femme qui m’impressionnait le plus. Il émanait de son visage une
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