Dans l'ombre de la reine
énergie et une intelligence formidables. Elle me rendait nerveuse en dépit de la bienveillance qu’elle me montrait.
— On dit que votre mère fut bonne pour la reine Anne. Après la naissance d’Élisabeth, elle tenta de la consoler lorsqu’elle perdit la faveur du roi, pour ne lui avoir pas donné de fils.
— C’est vrai. Ma mère évoquait sa vie à la cour, de temps à autre. Elle gardait une vive affection pour la reine et ne croyait pas aux accusations portées contre elle. Je me rappelle d’ailleurs l’avoir confié à Sir Thomas Gresham, un jour.
— Il m’en a fait part et je l’ai transmis à Élisabeth, acquiesça Cecil. Savez-vous qu’elle ne parle jamais de ce sujet ?
— Oui, Lady Katherine Knollys m’en a avertie.
— Elle vouait à son père une immense admiration, poursuivit Cecil, mais elle témoigne toujours beaucoup de générosité envers ceux qui sont liés à sa mère par le sang ou par la bonté. C’est pourquoi elle a consenti à vous prendre auprès d’elle. Nous espérons de tout cœur que vous réussirez.
— Oui, de tout cœur, renchérit Mildred.
Cecil me tendit ma coupe.
— Nous ne vous marquerons plus d’attention particulière, dorénavant. Nous ne vous aurons pas oubliée pour autant ; c’est plus sage, voilà tout. À la cour, on évolue toujours sur un terrain glissant. Mieux vaut ne pas susciter l’envie.
Vu l’état de mes finances, j’étais plus susceptible d’inspirer la compassion ou le mépris, cependant je me gardai de le souligner.
— Venez nous trouver si jamais vous rencontrez la moindre difficulté, précisa Lady Mildred.
Cecil hocha la tête en signe d’assentiment.
— En effet, Sir Thomas nous a tout expliqué à votre propos. Il n’avait, hélas, aucun poste vacant et a été bien aise que nous vous recommandions à la cour. Si nécessaire, nous serons pour vous une nouvelle famille. Promettez-vous de faire appel à nous le cas échéant ?
J’étais si touchée que les yeux me piquaient. Nul ne m’avait offert son aide depuis longtemps. Je promis, sans être certaine de tenir parole. Une foule de difficultés m’attendait – toutes de la même sorte –, mais je me refusais à demander l’aumône aux Cecil, pour la bonne raison qu’ils me l’auraient accordée. Je ne profiterais pas de leurs bonnes dispositions à mon endroit. N’en déplaise à mon beau-père, je n’étais pas une mendiante larmoyante.
Les rumeurs au sujet des prétendants possibles pour la reine couraient sans trêve. Chacun s’attendait à ce qu’elle choisît bientôt un époux, et les langues allaient bon train. Elle avait refusé Philippe d’Espagne ; elle ne pouvait s’unir à Robin Dudley, mais il y avait d’autres princes étrangers, d’autres nobles dans le pays.
Henry FitzAlan, comte d’Arundel, nourrissait quelques espoirs, mais j’avais vu moi-même la froideur d’Élisabeth à son égard. Ventripotent et plus âgé qu’elle d’un quart de siècle, il avait le don de l’irriter. En outre, il faisait partie des conseillers catholiques hérités de la reine Marie.
— Naguère, il traitait Élisabeth tantôt comme une menace pour la paix civile, tantôt en pauvre jouvencelle méritant sa protection, me dit un jour Lady Katherine Knollys. La reine garde de cette double attitude un souvenir déplaisant.
Arundel poursuivait une chimère. Quand la jeunesse joyeuse de la cour pariait sur les chances des divers prétendants, elle estimait les siennes à une contre cinq cents.
Pour l’heure, la reine ne marquait nulle inclination à faire son choix. « Nous avons d’abord notre guerre en Écosse à régler », l’avais-je entendue répliquer au comte de Derby, qui abordait la question sans ambages. Derby, lui aussi un ancien proche conseiller de la reine Marie, avait prôné une union avec Philippe d’Espagne. Je me demandais ce qu’il pensait de la guerre en Écosse, car, de son point de vue, l’Angleterre se trouvait dans le mauvais camp. Bien entendu, il s’abstenait d’exprimer cette opinion ; mais on lui vit une figure longue d’une aune quand arriva la nouvelle que l’ennemi désirait négocier.
Cecil fut envoyé à Édimbourg pour représenter l’Angleterre lors des pourparlers. Il revint en juillet, le traité de paix signé, mais déjà l’atmosphère à la cour avait changé. C’en était fini du temps où la reine abandonnait son occupation, si passionnante fût-elle, pour une affaire
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