Dans l'ombre de la reine
la façon la plus admirable, et je voudrais vous en récompenser. »
Je détestais son hypocrisie, son visage affligé, mais j’acceptai avec grâce. J’avais besoin de cet argent et j’étais heureuse de posséder un bon cheval. Étant si bien pourvue, j’avais écrit à la cour et obtenu un congé jusqu’à la fin octobre, afin d’aller voir ma fille et donner à Bridget une réserve d’argent. Je comptais aussi remplir le triste devoir d’apprendre à Alice la mort de son frère.
Dans le Sussex, il se pouvait que j’eusse des nouvelles de Matthew, dont la propriété se trouvait dans ce comté. Si j’apprenais où il vivait, je me hasarderais peut-être – mais seulement peut-être – à lui envoyer un message. Son silence total depuis son départ de Cumnor n’était pas encourageant. « Il s’est ravisé, me disais-je, lugubre ; il m’a trouvée trop compliquée pour lui. Ou peut-être en a-t-il rencontré une autre. »
Ma foi, c’est moi qui l’avais renvoyé, alors autant ne pas ressasser mes idées noires. Je regagnerais la cour à la fin de mon congé et, le cas échéant, je saurais par Arundel à quoi m’en tenir. Peut-être découvrirais-je qu’une lettre m’attendait…
D’ici là, j’avais ample matière à réflexion. En chemin, j’irais me recueillir sur la tombe de John, dans le petit cimetière de St Anne près du Coq en pâte. Le groupe de Dudley était reparti pour Londres directement depuis Oxford, mais j’avais dû retourner à Cumnor afin de vider ma chambre. Je nous avais trouvé une escorte, à Dale et moi. Suivant le conseil de Dexter, j’avais proposé à Brockley d’entrer à mon service, et il avait accepté. Il montrait une détermination agaçante à me protéger outre mesure et ne remplacerait jamais John, qui appartenait à mon passé perdu. Toutefois, il possédait la même honnêteté, et j’étais soulagée de l’avoir auprès de moi.
On frappa à la porte et Pinto entra. Elle aussi avait été généreusement rétribuée par Dudley. Elle partait pour le Norfolk. La mère d’Amy la prenait comme femme de chambre et avait même envoyé quelqu’un pour l’accompagner.
— Je viens vous dire adieu, annonça-t-elle. Nous sommes prêts à partir. On nous amène les chevaux devant l’entrée.
— Au revoir, répondit Dale avec raideur, car elle ne lui avait pas pardonné sa suspicion.
Pinto lui lança un coup d’œil hésitant, puis s’adressa à moi :
— Je tiens à vous redire combien je regrette, Mrs. Blanchard. Je sais maintenant que vous ne projetiez rien de mal envers ma maîtresse. Seulement, je l’aimais tant, et elle était si bonne pour moi…
— S’il y a bien une chose que je ne peux souffrir, déclara Dale à la malle qu’elle était occupée à remplir, c’est la jalousie.
— Suffit, Dale ! Ce n’est rien, Pinto. Je me réjouis qu’on ait assuré votre avenir et j’espère que vous serez heureuse.
— Je vous le souhaite aussi, Mrs. Blanchard.
Elle omit d’inclure Dale dans ses bons vœux et me tendit un parchemin plié en deux.
— Une des servantes a trouvé ceci sous les rideaux du lit, dans la chambre d’invité que Mr. Blount occupait jusqu’à son départ pour Oxford. J’ignore si c’est important. Je ne trouve pas Mr. Forster, aussi puis-je vous le confier ? Je dois partir tout de suite.
— Certainement. Eh bien, bonne chance, Pinto, et bon voyage.
Ses soupçons m’avaient blessée et, quoique j’eusse prononcé les paroles appropriées, je ne pus me résoudre à l’embrasser. Dale descendit derrière elle afin de la regarder sortir de notre vie.
Alors je restai un moment à contempler la lettre dans ma main. Puis je l’ouvris.
Quand Pinto me l’avait donnée, le parchemin s’était entrouvert et j’avais reconnu l’écriture à l’intérieur, la même que sur le message de Dudley. Je ne pouvais plus rien pour Amy, cependant je voulais toujours savoir comment elle était morte. Je le voulais au point que j’étais encore prête à écouter derrière des tentures ou à lire le courrier qui ne m’était pas destiné – tout, pourvu que cela m’apporte des informations.
Je ne saurais dire à quoi je m’attendais. Mes soupçons ne portaient pas sur Blount, or cette missive lui était probablement adressée. Je m’accrochais à la vague possibilité qu’elle appartînt à Forster, qui, après tout, vivait ici et était souvent venu dans la chambre, même quand Blount
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